A force d’entendre assureurs et parlementaires peindre le diable sur la muraille, on pourrait croire que le système suisse de prévoyance vacille sur ses piliers. Les chiffres disent pourtant le contraire, à en croire l’Office fédéral de la statistique. Et, s’il est légitime d’être prêt à affronter des vents contraires, il n’y a pas péril en la demeure.
Le capital accumulé dans les institutions de prévoyance atteignait, à la fin de 2015, 1019,7 milliards de francs. Comment ce bas de laine est-il réparti (voir graphique)?
⇨ Les caisses de pension disposent de 788,1 milliards, dont 384,3 milliards sur les comptes des actifs et 317,9 milliards pour servir les rentes des retraités. Elles ont constitué des réserves à hauteur de 85,9 milliards, soit près de 11% de la fortune sous gestion.
⇨ Les assureurs vie géraient 186,4 milliards dans le secteur prévoyance à la fin de 2015. Dont 155,9 milliards pour leurs clients, 30,5 milliards comptabilisés comme réserve, soit plus de 16%. Au total, ce sont donc quelque 116,4 milliards qui échappent aux assurés.
⇨ Les avoirs placés dans les comptes de libre-passage et auprès de la Fondation Institution supplétive en attente d’être retirés s’élèvent à 45,2 milliards.
Valeurs sous-évaluées
Ces montants sous-estiment même la réalité. En effet, les chiffres indiqués peuvent être inférieurs à la valeur boursière effective des titres ou au prix des immeubles sur le marché. En d’autres termes, les réserves sont plus importantes que ne le prétendent les rapports annuels.
«Les chiffres sont faciles à manipuler», relève ainsi l’ancien Monsieur Prix, Rudolf Strahm. A la fin de 2015, les assureurs vie estimaient ainsi à quelque 18,6 milliards ces «réserves d’évaluation»: un terme élégant pour désigner des bénéfices qui sont, dans les faits, cachés aux assurés.
L’expert Jürg Jost critique également l’extrême prudence des caisses de pension. Et déplore que, plutôt que de porter les bénéfices au crédit des assurés, les assureurs vie en comptabilisent une partie dans un fonds d’excédents. Elles se portent, autrement dit, mieux qu’elles ne le prétendent.
«Les estimations des caisses de pension ne sont, en aucun cas, trop prudentes et les réserves sont évaluées selon des principes actuariels reconnus», rétorque Hans-Peter Conrad, membre du comité de l’Association suisse d’assurances (ASA). Et d’ajouter que les assureurs vie doivent être en mesure d’honorer tous leurs engagements, ce qui implique de disposer de réserves et de provisions en suffisance.
Problèmes structurels
De nombreuses caisses de pension ont, certes, dû être recapitalisées et assainies ces dernières années car elles ne pouvaient plus honorer leurs engagements. Mais il s’agit, pour la plupart, d’institutions pratiquant la primauté de prestations: la rente servie est calculée en fonction des derniers salaires, et non des cotisations accumulées.
Les pouvoirs publics sont du reste massivement intervenus pour les remettre à flot, les cotisations n’ayant de loin pas suffi à couvrir les prestations promises. Ce fut notamment le cas pour les CFF et La Poste.
La balle est actuellement dans le camp des parlementaires fédéraux. Faut-il s’ajuster au discours des caisses et revoir à la baisse les rentes de tous les assurés? Il serait grand temps de modifier plutôt les règles du jeu dans le 2e pilier.
Thomas Lattmann / chr
Eclairage
Des bébés pour l’AVS
Bonnes nouvelles pour nos retraites: la courbe des naissances repart à la hausse en Suisse.
86 559 bébés ont vu le jour en 2015, ce qui représente en moyenne 1,54 enfant par femme, un chiffre record en 22 ans. En comparaison, l’indicateur conjoncturel de fécondité avait plongé à 1,38 en 2001 pour atteindre le seuil plancher depuis le début des statistiques, en 1860.
Cette augmentation de la natalité profitera bientôt à l’AVS. A la fin de 2015, la fortune du
1er pilier s’élevait déjà à 44,2 milliards de francs, soit le double des chiffres de l’an 2000 (22 milliards). Le rendement s’est élevé à 1,2 milliard, soit 3,9%.
L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) prédit malgré tout un manque à gagner annuel de 5 milliards à partir de 2027 dans le 1er pilier. Soit. Mais, en 2013, il estimait à 9 milliards le déficit pour 2030. Et, en 1995, le même OFAS prévoyait une perte de 3,7 milliards pour 2010. Or, cette année-là, le bénéfice s’est élevé à 1,9 milliard!
Difficile, dans ce domaine, de jouer à Madame Soleil. Car, outre la natalité, les chiffres de l’immigration jouent aussi un rôle important, sans parler des rendements en Bourse. Les chiffres actuels ne justifient donc pas le climat de panique qui prévaut aujourd’hui.