«Je te déshérite», lance le père à son fils. «Il l’a exhérédé», commente le juriste. Cela revient en fait au même: celui qu’on appelle très pudiquement le de cujus (expression latine pour éviter de parler du «futur défunt») a écrit noir sur blanc dans son testament qu’un de ses héritiers réservataires ne toucherait pas sa part.
Vite dit, plus difficile à faire! Une jurisprudence neuchâteloise le rappelle clairement. Un père avait déshérité son fils majeur sous prétexte qu’il avait commis un délit grave en s’introduisant à son domicile et en lui volant 150 fr., mais aussi parce que, par son attitude et sa conduite, il avait constamment violé ses devoirs envers ses parents. Il est vrai que le rejeton avait été condamné à 18 mois d’emprisonnement pour vol en bande et par métier, puis avait abandonné sa femme et ses enfants sans plus jamais donner de nouvelles à ses proches.
Bref, le testateur semblait pour le moins répondre aux exigences de l’article 477 du Code civil (CC), qui précise qu’il est possible de supprimer la réserve d’un héritier lorsqu’il a commis une infraction pénale grave ou a violé gravement les devoirs que la loi lui impose envers le défunt ou sa famille. Reste à déterminer ce qui est «grave», ont rappelé les juges, en soulignant que «le comportement reproché à l’exhérédé ne doit pas être simplement immoral ou contraire au désir du de cujus, il faut qu’il viole une prescription légale qui, de plus, doit concerner le droit de la famille».
Selon eux, tel n’était pas le cas dans l’affaire neuchâteloise. Car, à la mort de son père, le fils a ressurgi et a demandé l’annulation de la clause d’exhérédation prévue dans le testament, afin de toucher sa part au même titre que ses trois autres demi-frères. Demande acceptée! Le Tribunal a, en effet, jugé qu’on ne pouvait pas assimiler le vol de 150 fr. à une infraction grave. Mais aussi que le droit de la famille n’impose aucune obligation à l’enfant vis-à-vis de ses parents et que la violation de ses devoirs n’était ni alléguée ni même établie. Enfin, que l’emprisonnement pour vol n’avait rien à voir avec le cadre familial.
Autrement dit: pour déshériter un proche réservataire, il en faut beaucoup! Moins en revanche lorsque cela concerne les conjoints: il a, notamment, été accordé le droit à une épouse de déshériter son mari au profit de ses enfants, parce qu’il les avait abandonnés sans se préoccuper de leur sort.
*Première Cour civile du canton de Neuchâtel, CC.2005.206