Bien qu’il reste très minoritaire, le véganisme a le vent en poupe. L’étude suisse la plus récente, réalisée en 2016, révèle que ses adeptes ne représentent que 3% de la population, mais elle montre aussi que les trois quarts d’entre eux se sont convertis au cours des cinq dernières années! Un choix radical, du point de vue alimentaire, puisque ce régime exclut strictement les produits d’origine animale*.
Vous êtes déterminé à franchir le pas? Voici quelques aspects auxquels il convient d’être attentif. «A l’instar de la plongée sous-marine, il vaut mieux ne pas se lancer seul, car cela comporte des risques», prévient Roger Darioli, médecin, vice-président de la Société suisse de nutrition, et auteur d’une partie du tout récent rapport fédéral sur le véganisme (lire encadré).
Si supprimer la viande ne constitue pas un problème majeur, il est beaucoup plus compliqué de conserver une alimentation équilibrée lorsqu’en enlève encore les œufs, les produits laitiers et le miel. «Le végétalisme permet moins d’erreurs que le végétarisme, il faut avoir une conscience nutritionnelle» résume ainsi Dimitrios Samaras, médecin interniste et nutritionniste à Genève, consultant aux HUG. Les vitamines B12 et D, le zinc, le fer, le calcium, les acides gras oméga 3, ainsi que les protéines figurent parmi les nutriments critiques en cas d’alimentation végane, estime Roger Darioli.
Changer par étapes
L’équation est donc complexe, nos deux intervenants recommandent bien évidemment de ne pas se fier au «docteur Google» et de consulter au préalable un vrai spécialiste. Ce dernier procèdera à un bilan de santé, décèlera d’éventuelles carences existantes, et promulguera les conseils essentiels.
Plusieurs professionnels préconisent aussi de procéder par étapes, afin d’éviter les chocs métaboliques. Kathy McManus, directrice du département de nutrition du Brigham and Women’s Hospital de Boston (USA) suggère d’augmenter le pourcentage de végétaux à chaque repas puis d’introduire un menu totalement végétalien une ou deux fois par semaine. «Si vous appréciez cela, continuez d’en ajouter jusqu’à ce que vous soyez totalement immergé dans la diète» conclut l’Américaine. Certains spécialistes préconisent des transitions très lentes s’étalant sur… deux ou trois ans!
Injections de B12
Parmi les nutriments qui posent problème, la vitamine B12 constitue un danger majeur bien connu, tout simplement parce que cette dernière ne se trouve presque exclusivement que dans les produits d’origine animale. «Une carence peut provoquer une anémie, de la fatigue et des neuropathies», prévient le Dr Samaras. Une supplémentation s’avère donc nécessaire, de préférence par injection, ce qui est beaucoup plus efficace que par voie orale. Les végétariens trouveront, en revanche, suffisamment de B12 dans les œufs et les produits laitiers.
Dimitrios Samaras conseille aussi aux femmes végétaliennes en âge de procréer de savoir si elles ont tendance à faire des carences en fer avant même de se lancer. On trouve, certes, du fer dans de nombreuses denrées végétales comme le tofu, le soja, les épinards, les petits pois ou encore les fruits à coque, mais ce dernier est environ à moitié moins bien absorbé que le fer d’origine animale. Du coup, le risque d’en manquer est bien présent chez les végétaliennes non ménopausées, mais moins chez les hommes.
Les femmes adultes porteront également un intérêt particulier à l’iode. Ce dernier est important pendant la grossesse et il ne se trouve qu’en quantités infimes dans l’alimentation végétalienne. Une insuffisance est susceptible de provoquer, entre autres, un retard mental chez l’enfant. Parmi les solutions: choisir, en vérifiant bien l’étiquette, un sel iodé parmi l’offre disponible en magasin.
Alimentation variée primordiale
Pour réduire le risque de carences, il importe donc d’être bien informé et d’avoir une stratégie nutritionnelle pointue.
Roger Darioli insiste en tous les cas sur l’importance d’une alimentation diversifiée, avec une grande variété de fruits et de légumes de saison. Dans l’idéal, il faudrait aussi consommer des produits du jardin plutôt que ceux issus de l’agriculture intensive. Le médecin note aussi que le changement de régime peut induire des troubles digestifs, sans compter les conséquences sociales d’un tel choix.
Moins critique que Roger Darioli, pour qui, au vu des données scientifiques actuelles, «ce régime déséquilibre la machine humaine», Dimitrios Samaras estime que «les végétaliens ont une alimentation beaucoup plus saine que les omnivores car ils consomment des aliments de très bonne qualité et ne se nourrissent pas de produits industriels». Conseillerait-il ce régime? «Ce que je recommande à tous mes patients, c’est de devenir plus végétarien que ce qu’ils sont, répond le spécialiste. Si quelqu’un veut devenir végétalien, je l’accompagnerai, je n’y suis pas opposé.»
Sébastien Sautebin
Lire le bonus web: les principales catégories de régimes végétariens
Eclairage - Régime végétalien: «pas recommandé»
En mai, la Commission fédérale de l’alimentation a rendu public son nouveau rapport «Régimes végétaliens: analyses des avantages et des inconvénients sur le plan nutritionnel et pour la santé». Ce document actualise un rapport publié en 2007 sur l’alimentation végétarienne, en se focalisant cette fois sur le végétalisme. Et les conclusions sont sévères. La synthèse du rapport note «qu’un régime bien planifié et supplémenté pourrait en théorie couvrir les besoins nutritionnels, mais les résultats montrent qu’en réalité, des carences sont fréquentes pour certains nutriments».
Du coup, les auteurs ont adopté des positions très tranchées: ils ne «recommandent pas» la diète végane pour les femmes enceintes et celles qui allaitent, pour les bambins, les enfants, les ados, les seniors ou encore pour les personnes présentant des troubles du comportement alimentaire. Rien que ça! Ce régime est à peine considéré comme «acceptable» pour les «adultes en bonne santé bien informés sur le plan nutritionnel» et pour «les patients avec un diabète de type 2 et/ou des maladies cardio-vasculaires bien informés sur le plan nutritionnel».
Roger Darioli a coprésidé le groupe d'experts chargé d’étudier l’éventuel impact favorable des régimes végétaliens sur la santé, notamment leur caractère préventif sur les maladies non transmissibles. Après trois ans de recherches, il conclut que les données scientifiques ne sont pas suffisamment solides à l’heure actuelle pour apporter des réponses, les études disponibles affichant des résultats très contradictoires. Les auteurs du rapport estiment que «des recherches supplémentaires s’imposent avant de pouvoir recommander un tel régime comme mesure de santé publique en Suisse».
Le rapport peut être consulté, en anglais (synthèse en français) sur www.eek.admin.ch