Il y a plus de 20 ans que Max F., 63 ans, avale quotidiennement une capsule d’atorvastatine. Ce médicament du groupe des statines est censé réduire son risque d’infarctus et d’attaque cérébrale. Son médecin lui prescrit cet anti-cholestérol, car sa pression sanguine est élevée. Et son père est décédé d’un AVC.
Pour le sexagénaire qui n’a pas de maladie cardiaque, la prise du médicament est purement préventive. Jusqu’ici, il n’a pas ressenti d’effets secondaires. Or, selon les chercheurs, une seule chose est certaine: les statines sont clairement efficaces contre les risques d’un infarctus ou d’un AVC seulement chez les patients qui ont déjà été victimes d’un tel épisode. Il n’est pas prouvé qu’elles protègent les patients en bonne santé.
Des scientifiques de l’Université de Zurich se sont récemment penchés sur l’effet préventif des statines. Ils ont passé au crible les données de la littérature spécialisée et ont interrogé des personnes en bonne santé.
Leur résultat: l’utilité des statines est surestimée, particulièrement en ce qui concerne les séniors, selon l’auteur de l’étude, Milo Puhan. Dans ce groupe, les statines ne préviennent que relativement peu d’infarctus. Et avec l’âge, les effets secondaires se manifestent plus souvent. Pour le professeur en épidémiologie, le constat est clair: les statines sont trop souvent prescrites.
Les Sociétés européenne et suisse de cardiologie recommandent toutes deux la prise de statines à partir d’un risque de 7,5 à 10% d’être victime dans les dix prochaines années d’un infarctus ou d’un AVC. Les médecins calculent ce risque en fonction de facteurs comme le diabète, le surpoids ou les prédispositions familiales.
Ces valeurs sont trop basses, critique Milo Puhan. Elles ne prennent pas suffisamment en compte les dommages que les statines peuvent potentiellement causer de par leurs effets secondaires. Ceux-ci vont des douleurs musculaires aux lésions hépatiques en passant par le diabète.
Les chercheurs zurichois ont calculé de nouveaux seuils de risques à partir desquels la prise de statines est davantage utile que dommageable. Pour les personnes de 70 à 75 ans, ce seuil est de 21% de risques d’être victime d’un infarctus ou AVC dans les 10 prochaines années. Pour les patients de 40 à 45 ans, cette valeur se situe entre 14 et 17%. Ces nouvelles limites pourraient réduire de moitié les personnes qui prennent des statines de manière préventive, selon l’auteur de l’étude.
Les scientifiques ont aussi comparé les effets de quatre médicaments du groupe des statines. L’atorvastatine et la rosuvastatine ont davantage tendance à protéger les patients et ont moins d’effets secondaires que la simvastatine et la pravastatine.
Une méta-analyse parue en février dans la préstigieuse revue The Lancet et portant sur 28 études et 187 000 participants confirme que les plus de 75 ans qui ne souffrent pas de maladie cardiaque profitent peu des statines, ajoute Thomas Rosemann, professeur de médecine générale à l’Université de Zurich.
Etzel Gysling, éditeur de la revue spécialisée Pharma-Kritik estime lui aussi que les statines sont trop souvent prescrites. Médecin généraliste, il discute de cette option avec ses patients. Toutefois, il est pour lui plus important de les amener à baisser leurs risques par un changement de comportement. Arrêter de fumer, maigrir ou faire davantage de sport permet aussi de baisser la pression sanguine.
Eric Breitinger / sp
Coûts
En Suisse, plus de 820 000 patients ont pris des médicaments du groupe des statines en 2017. Cela a coûté 239 millions de francs aux assurés.
Source: Rapport sur les médicaments de Helsana, Curafutura, Tarifpool sasis, COGE