Depuis quelques semaines, tous les magasins Lidl en Suisse disposent de défibrillateurs automatiques externes. L’enseigne s’est équipée volontairement. Aucune loi fédérale ne réglemente la mise à disposition des défibrillateurs (lire «Les cantons agissent chacun dans leur coin»). L’enjeu est pourtant loin d’être marginal: chaque année, 8000 à 10 000 personnes subissent un arrêt cardio-respiratoire (ACR) dans notre pays, majoritairement hors des hôpitaux.
L’utilisation rapide d’un DEA peut leur sauver la vie. Cet appareil fait d’ailleurs partie, avec l’appel au 144 et les compressions thoraciques, des mesures vitales que les témoins doivent effectuer lors d’un arrêt cardiaque (lire «Que faire si vous devez intervenir»).
Faire repartir le cœur
«Le défibrillateur sera utile dans la moitié des cas», précise Laurent Suppan, médecin responsable de la Brigade sanitaire cantonale genevoise et membre du comité du Swiss Resuscitation Council. Près de 50% des ACR sont provoqués par une fibrillation ventriculaire. Cette désorganisation brusque des contractions des ventricules cardiaques, souvent consécutive à un infarctus, empêche le cœur de jouer son rôle et provoque son arrêt. La décharge électrique du DEA peut le ramener à un fonctionnement normal.
«Car le massage cardiaque, fondamental pour que le sang continue de circuler, ne permet pas au cœur qui s’est mis à fibriller de repartir. Il faut un choc électrique», explique Laurent Suppan. «Plus l’utilisation du défibrillateur est précoce, plus le taux de survie est important», poursuit le responsable de la brigade sanitaire genevoise. D’où l’importance de savoir très vite où se trouve l’appareil le plus proche. Le 144 peut fournir l’information, selon ses bases de données. Certains cantons disposent de systèmes de premiers répondants (first responders) dans lesquels des bénévoles formés aux premiers secours, et qui se trouvent à proximité de la victime, sont alertés par le 144 en parallèle de l’ambulance. L’alerte, via une application, leur indique où se trouvent les défibrillateurs proches. On peut télécharger soi-même gratuitement ces applications pour connaître l’emplacement des DEA (retrouvez la liste complète sur ici).
Très simples à utiliser
L’idée d’utiliser un défibrillateur peut effrayer. Son usage est toutefois très simple et l’utilisateur n’a aucune décision médicale à prendre: le DEA fournit les instructions vocales, établit lui-même un diagnostic et ordonne, ou non, un choc électrique. «N’importe qui peut s’en servir, on ne fait courir aucun risque à la personne en arrêt cardio-respiratoire et ils sauvent des vies!», insiste Laurent Suppan.
Massage cardiaque essentiel
Les ACR sont des situations d’urgence absolue: l’arrêt du cœur stoppe la circulation du sang vers les organes vitaux, les privant d’oxygène. «Sans sang au cerveau, on perd connaissance après trois secondes, et cette situation provoque des dommages irrémédiables au bout de trois minutes. Si rien n’est fait, chaque minute écoulée diminue les chances de survie de 10%», souligne le responsable de la brigade sanitaire genevoise.
Dans l’attente des secours et du DAE, pratiquer les compressions thoraciques est capital. Un massage cardiaque de haute qualité augmente les chances de survie. Les principaux critères de qualité sont: la profondeur du massage, qui devrait être de cinq à six centimètres, et une fréquence de 100 à 120 compressions par minute. «Si la fréquence est inférieure, le flux sanguin sera trop faible et le cerveau ne sera pas suffisamment irrigué. Au-dessus, le cœur n’a pas le temps de se remplir de sang, résume Laurent Suppan. De plus, il faut relâcher complètement la pression sur le thorax entre deux compressions, sans enlever les mains, pour permettre au sang d’être aspiré dans les cavités du cœur, et éviter les interruptions.»
Effectuer un massage cardiaque de haute qualité n’est donc pas simple. Laurent Suppan recommande à chacun de suivre une formation de premiers secours incluant le massage cardiaque. Selon le spécialiste, il est difficile d’appliquer les bons gestes sans s’être exercé sur un mannequin. Le site resuscitation.ch fournit une liste de prestataires accrédités.
Ne pas hésiter à agir!
Si vous n’avez pas suivi de formation, ne renoncez surtout pas à effectuer les compressions thoraciques et veillez à «masser vite et fort». Une étude genevoise a montré que les témoins prodiguaient un massage cardiaque dans 40% des cas d’ACR seulement. «C’est un taux excessivement bas, qui compromet la survie», déplore Laurent Suppan. Un taux s’expliquant par des peurs très ancrées: «Celle de faire plus de mal que de bien, de casser des côtes, du regard des autres… Ce sont des appréhensions légitimes. Mais si l’on ne fait rien, la personne meurt. Il ne faut pas hésiter à prodiguer un massage cardiaque et à utiliser un défibrillateur. Agir, c’est la seule façon de sauver la vie de la victime.»
Sébastien Sautebin
Que faire si vous devez intervenir
Deux critères doivent être réunis pour reconnaître un arrêt cardiaque:
- La personne est inconsciente.
- Elle ne respire pas, ou anormalement (respiration lente et laborieuse).
Dans ces cas, il faut commencer la réanimation cardio-pulmonaire (RCP). Elle comprend: l’appel au 144, le massage cardiaque et l’utilisation du défibrillateur.
Dans le détail:
- Contrôler la sécurité du lieu (trafic routier, etc.)
- Evaluer l’état de conscience. Evaluer l’état de conscience en parlant à haute voix ou en touchant la personne, par exemple sur l’épaule. Il ne faut pas provoquer de douleur pour le vérifier.
- Si la personne est inconsciente, demander du soutien, crier «A l’aide!». Tout faire seul est extrêmement compliqué.
- Demander à un tiers d’avertir le 144 pendant que vous vérifiez si la personne respire.
- Basculer sa tête en arrière, écouter sa respiration, regarder et sentir avec la main un éventuel mouvement du thorax. Ne pas y consacrer plus de dix secondes. En cas de doute, considérer que la personne ne respire pas.
- Commencer immédiatement les compressions thoraciques si la personne ne respire pas ou respire anormalement. Envoyer quelqu’un chercher un défibrillateur. Le 144 peut renseigner sur l’appareil le plus proche.
- Si on est seul, alerter le 144, activer le haut-parleur du téléphone et commencer le massage cardiaque, en suivant les instructions des spécialistes.
- Pour le massage cardiaque:
•Effectuer 100 à 120 compressions par minute d’une profondeur de 5 à 6 cm, bras tendus, au centre du thorax.
•Permettre au thorax de se relâcher complètement entre deux compressions.
Se remémorer la chanson Stayin’ Alive des Bee Gees pour avoir le bon rythme. Face à cet effort épuisant, se relayer toutes les deux minutes, sans interruption.
Ne faire des insufflations que si l’on a été formé, et, idéalement, employer un masque facial prévu à cet effet (disponible en pharmacie). - A l’arrivée du défibrillateur (DEA):
•Allumer l’appareil (certains s’enclenchent à l’ouverture de la sacoche)
•Suivre les instructions
•Coller les électrodes sur la poitrine nue de la victime selon la position indiquée sur l’appareil ou les électrodes.
Le DEA détermine si un choc est nécessaire. Si l’appareil indique qu’un choc est nécessaire, appuyez sur le bouton «choc». Certains modèles le délivrent automatiquement. Assurez-vous que personne ne touche la victime pendant l’analyse, puis le choc. - Recommencer immédiatement les compressions et se conformer aux instructions du défibrillateur.
- On peut cesser la réanimation lorsque le patient a repris connaissance ou bouge spontanément, ou après l’arrivée des secours.
On peut suivre une formation BLS (Basic life support) en ligne, provisoirement gratuite, recommandée par Laurent Suppan: bls-compact.online-studies.net
Les cantons agissent chacun dans leur coin
Les défibrillateurs (DEA) sauvent des vies. Il n’existe toutefois aucune directive ni recommandation fédérale concernant leur présence dans le secteur privé ou public. La raison? Le domaine relève des cantons et des municipalités. Or, ces derniers n’ont pas jugé utile de s’entendre. «Pourtant, regrette Laurent Suppan, une coordination intercantonale pourrait mener à l’élaboration d’une stratégie commune, ce qui serait fortement souhaitable en termes de santé publique.»
Chacun fait donc sa petite cuisine dans son coin: des cantons ont émis des directives, d’autres pas, des municipalités et certaines entreprises ont choisi de s’équiper, d’autres pas. Dans le commerce de détail, on trouve des DEA dans toutes les succursales Lidl, mais pas chez Aldi. Coop en possède dans «certains supermarchés» et Migros dans «la plupart des magasins MM et MMM». Les CFF en ont «au moins un dans chaque grande gare et dans la plupart des gares moyennes». Quant aux offices de poste, ils n’en abritent pas.
Bases de données lacunaires
Il n’existe aucun inventaire national exhaustif qui répertorie les défibrillateurs disponibles. De plus, certains ne sont pas forcément accessibles le dimanche ou la nuit. Des bases de données, comme celles des centrales 144, sont alimentées sur une base volontaire par les acquéreurs des DEA et restent lacunaires, sauf exceptions, comme le canton de Fribourg qui a rendu l’annonce au 144 obligatoire. L’application alémanique defikarte.ch
permet de localiser les DEA en Suisse, mais, elle repose sur le volontariat et demeure très incomplète pour la Suisse romande.
Efficacité reconnue
Une étude aux Etats-Unis a démontré l’efficacité des défibrillateurs: «Le taux de survie est bien plus élevé – 1,5 fois plus – lorsque le choc est délivré par des témoins avant l’arrivée des secours professionnels», relève Laurent Suppan.