De nombreuses personnes souffrent de sécheresse oculaire et utilisent des collyres qui font office de larmes artificielles. La société allemande Ursapharm, dont le siège est à Hünenberg, dans le canton de Zoug, commercialise désormais la préparation Evotears dans les pharmacies. Vendu sans ordonnance, ce produit contient une substance destinée à remplacer l’eau: le perfluorohexyloctane. Le fabricant annonce que, grâce à cette nouvelle substance, Evotears peut se passer d’agents conservateurs à l’origine de potentielles réactions, telles que des brûlures.
La revue spécialisée allemande Arznei-Telegramm, qui évalue les dispositifs médicaux, déconseille toutefois Evotears. La raison? Le fabricant ne peut pas prouver que ces gouttes sont effectivement mieux tolérées que les préparations aqueuses déjà existantes. Et le perfluorohexyloctane fait partie des substances per- et polyfluoroalkylées. Autrement dit, des PFAS, des composés pour le moins inquiétants pour la santé et l’environnement.
Risque accru de cancer
Peu de substances appartenant à ce groupe des PFAS ont, pour l’heure, fait l’objet de recherches. Ce qui est sûr, c’est que l’exposition à certains d’entre eux est liée à une réduction du poids de naissance des nouveau-nés, qu’elle peut perturber le système immunitaire et augmenter le risque de cancer. «Puisqu’on ne connaît pas la nocivité de nombreux PFAS, j’éviterais de tels médicaments», affirme Joëlle Rüegg, professeure suisse de toxicologie environnementale à l’Université d’Uppsala en Suède.
Les PFAS sont souvent appelés «polluants éternels», car ils ne se dégradent presque pas. Ursapharm conteste le fait que le perfluorohexyloctane ait des effets toxiques et qu’il s’accumule dans l’environnement. L’entreprise n’a toutefois pas dû présenter de données environnementales aux autorités suisses chargées d’autoriser la mise sur le marché de ses gouttes, comme le confirme Swissmedic.
Les entreprises qui souhaitent valider un nouveau produit – contenant un nouveau principe actif, par exemple – doivent toujours fournir à Swissmedic des données sur les risques environnementaux. Pour les médicaments dont les principes actifs sont connus, ce n’est le cas que si l’on peut s’attendre à une augmentation de la pollution de l’environnement. Selon Swissmedic, toutefois, les données environnementales ne jouent aucun rôle dans la décision d’autorisation en Suisse et dans l’UE.
Prolonger la durée de conservation
Ces nouveaux collyres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Plus d’une centaine de médicaments autorisés contiennent des PFAS, estime la Fédération européenne de l’industrie pharmaceutique. Selon Swissmedic, c’est également le cas en Suisse. Parmi eux, le traitement contre le diabète Januvia, le médicament prophylactique contre la malaria Mephaquin et la préparation contre le VIH Efavirenz. L’industrie utilise ces substances principalement pour prolonger leur durée de conservation.
La pharmacienne Anja Thijsen, de l’association internationale Pharmacists for the Future, doute que l’utilisation de PFAS soit toujours nécessaire. Pour elle, «l’impact environnemental des médicaments doit être pris en compte à l’avenir dans les procédures d’autorisation». Et les patients devraient être informés par une déclaration obligatoire lorsque des produits contiennent des substances problématiques.
Pour l’instant, Swissmedic ne fait rien pour mieux protéger les patients et l’environnement. Interrogé, un porte-parole répond que l’autorité «suit le sujet, notamment au sein des instances internationales».
Conseil: selon la pharmacienne Anja Thijsen, les nouvelles gouttes oculaires ne présentent pas d’avantage supplémentaire par rapport aux produits existants, ou alors de manière très limitée.
Les yeux secs se traitent bien avec des collyres sans PFAS. Evitez tout flacon portant la mention perfluorohexyloctane.
Eric Breitinger / gc