L’îlot de cherté suisse n’en finit pas d’agacer les consommateurs. Ces dernières années, vous êtes plusieurs à nous avoir fait part de votre incompréhension face aux différences de prix observées entre la France et la Suisse pour certains médicaments, notamment l’Exémestane (cancer du sein), le Calcimagon D3 (ostéoporose) et le Voltaren Ophtha (collyre anti-inflammatoire). Et comme tous trois sont pris en charge par l’assurance maladie de base, ils ne sont pas remboursés s’ils sont achetés à l’étranger.
En va-t-il autrement pour les autres, ceux qui sont à la charge du patient? Peut-on faire des économies substantielles en les achetant de l’autre côté de la frontière? Pour le savoir, nous avons comparé le coût de 15 remèdes courants et rigoureusement identiques en Suisse et en France. A trois exceptions près (signalées par un astérisque dans notre tableau), ils ne sont pas remboursés par l’assurance de base, même quand ils sont prescrits par un médecin.
Le résultat de notre pointage est sans appel: la facture totale pour ces 15 produits se monte à 175 fr. en France, contre 322 fr. en Suisse, soit une différence spectaculaire de 84%. On débourse donc près de deux fois plus dans les pharmacies helvètes, mais cette moyenne cache des disparités importantes. Ainsi, inutile de se déplacer pour acheter du Dafalgan, des plaquettes de pilules Mercilon ou encore de l’Aspirine – même si, dans ce dernier cas, il existe en France un générique bien meilleur marché. A l’inverse, un tiers des médicaments coûte plus du double, à l’image des substituts nicotiniques Nicorette. Ainsi, à lui seul, l’achat d’une grande boîte en France permet d’économiser près de 50 francs!
1+1 = 4
Comment de telles différences sont-elles possibles? «Nous ne fixons que le prix des médicaments remboursés par l’assurance de base. Celui des autres préparations est déterminé librement par les fabricants et les distributeurs et nous ne les commentons pas», nous a répondu l’Office fédéral de la santé publique. L’instance explique qu’elle fixe les prix en se basant pour moitié sur une comparaison avec l’étranger, et pour l’autre sur une comparaison des coûts des autres traitements disponibles en Suisse pour soigner les mêmes maladies. Mais comment peut-on aboutir, avec une telle méthode, à un prix trois fois supérieur en Suisse qu’en France pour le Voltaren Ophtha et quatre fois supérieur pour le Valium? Mystère. L’OFSP se borne à indiquer que, dans le cadre du réexamen trisannuel du prix des médicaments, celui du premier sera vérifié cette année et celui du second en 2019.
On n’est guère plus avancé en se tournant vers l’association des entreprises pharmaceutiques Interpharma. Elle concède que certains produits peuvent présenter «des écarts de prix relativement importants», mais insiste sur l’importance de comparer plusieurs médicaments avec plusieurs pays européens, et pas uniquement la France. Autrement dit, nous serions tombés sur les mauvais exemples et le mauvais pays!
Impossible de baisser les prix?
«Si on ne trouve pas, chez nous, de médicaments aussi bon marché qu’ailleurs, cela signifie qu’ils ne seraient pas rentables en Suisse à un prix plus bas», avance de son côté le porte-parole de PharmaSuisse, la faîtière des pharmaciens. Tout comme les fabricants que nous avons interrogés, il détaille les éléments à l’origine des différences de coût: taille du marché plus réduite, exigences plus élevées en matière d’emballage (notice en trois langues, par exemple), marges plus importantes nécessaires pour payer salaires et loyers suisses, et enfin volonté politique helvète de décourager la vente de médicaments onéreux en accordant des marges plus confortables aux préparations bon marché – un dernier argument repris par Novartis, le fabricant du Voltaren. En d’autres termes, nous aurions observé une différence moindre en choisissant des produits plus chers.
Le ton n’est pas le même, bien entendu, du côté du représentant des assureurs maladie SantéSuisse, pour qui «rien ne justifie des différences de prix massives pour des médicaments qui, le plus souvent, ne sont pas produits en Suisse». En fin de compte, c’est au consommateur de décider s’il veut, ou non, saisir l’arme du tourisme d’achat pour faire pression sur les acteurs du marché. Notre tableau montre que cette attitude est plus ou moins justifiée en fonction du médicament. On comparera facilement les prix à l’aide du site pharmanity.com, qui répertorie les tarifs de plusieurs centaines de pharmacies françaises.
Vincent Cherpillod