Au retour des beaux jours, il est fréquent de croiser des groupes enchaînant au ralenti d’étranges chorégraphies dans les parcs: ce sont des adeptes de tai-chi ou de qi gong (prononcer tchi-kong), deux pratiques de gymnastique chinoise. Que cachent ces mouvements insolites, et pourquoi les effectuer en plein air?
Ces sports séculaires, voire millénaires pour le qi gong, s’inscrivent dans la philosophie chinoise. L’être humain est relié à l’univers, et il est traversé par un souffle vital, le «qi», qui relie le ciel et la terre. Chaque mouvement fait circuler cette énergie vitale dans le corps, de la plante des pieds vers le bout des doigts, en passant par le bassin et la colonne cervicale. Contrairement aux exercices de physiothérapie qu’on enchaîne parfois sans réfléchir, le tai-chi et le qi gong impliquent de donner du sens à chaque geste. A la fin du cours, on se sent plus serein, tout en étant pleinement ancré dans le présent. Les effets sont bénéfiques pour la souplesse, la musculature profonde, le sens de l’équilibre et la mobilité.
Une intense concentration
Ces disciplines sont plus exigeantes qu’il y paraît: impossible, par exemple, d’adopter la bonne posture sans laisser les problèmes du quotidien au vestiaire. «C’est un peu comme un sport extrême, explique Véronique Terrier, enseignante à Lausanne. Quand on enchaîne les mouvements de base du tai-chi, on est aussi concentré que pour amorcer un virage à ski.»
On peut commencer à tout âge, en adaptant les postures à sa condition physique: on peut même faire du qi gong assis ou couché! A 78 ans, Jean Kuo Yu Yang, enseignant à l’Université populaire de Fribourg, arrive encore à lever la jambe jusqu’à hauteur de la tête pour une figure de tai-chi. «Mais il suffit d’y arriver jusqu’à la taille, rassure-t-il.»
Une fois les principes de base acquis, on peut pratiquer le tai-chi ou le qi gong seul, chez soi ou en plein air, que ce soit une fois par jour ou par semaine. «Ça fait partie de l’hygiène de vie, comme de se brosser les dents», résume Rosa Fieschi, enseignante et thérapeute à Fribourg. Une routine recommandée par l’Organisation mondiale de la santé: le tai-chi et le qi gong, au même titre que le yoga ou la méditation de pleine conscience (lire «Apprendre à débrancher»), sont efficaces pour gérer le stress et renforcer le système immunitaire.
Le qi gong, pratique millénaire
Pratiqué depuis des millénaires, le qi gong (littéralement: travailler ou cultiver le souffle vital) est la discipline la plus accessible des deux. Il consiste à enchaîner des mouvements très lents pour faire circuler l’énergie à travers tout le corps et la régénérer. Contrairement au tai-chi, les postures se travaillent indépendamment les unes des autres. Des titres suggestifs tels que «Chercher la lune dans la mer» ou «Dessiner le soleil et la lune» aident à prolonger en pensée les gestes vers l’extérieur, même si on les pratique en salle.
Anodins en apparence, les enchaînements sont d’une grande subtilité et déclenchent des sensations fines qui permettent de redécouvrir son corps à l’infini. Ils sont bénéfiques pour débloquer les articulations et soulager les douleurs dorsales, mais aussi pour gérer le stress, masser les organes internes et soulager des maux de dos ou des migraines.
Des mouvements spécifiques sont indiqués après un AVC, ou une opération du sein qui limite les mouvements du bras: on parle dans ce cas de qi gong thérapeutique. D’autres figures, aux noms d’animaux tels que l’ours ou le tigre, permettent d’impliquer des enfants: il n’y a pas d’âge pour se faire du bien.
Le tai-chi, un art martial au ralenti
Les premières traces de ce sport remontent au XIIIe siècle. C’est une forme d’art martial qui recourt aux séquences utilisées dans les techniques de combat telles que le kung-fu, mais comme si on déroulait un film au ralenti. Depuis le début du XXe siècle, il a évolué vers une pratique axée vers le bien-être qui enchaîne des mouvements précis, calés sur le rythme de la respiration. Les cours se déroulent généralement à mains nues, même si certaines formes de tai-chi se pratiquent avec une arme telle que le sabre, l’épée ou le poignard.
Il est facile de repérer les deux principes chinois contraires et complémentaires du yin et du yang dans la pratique du tai-chi. Les gestes dirigés vers l’extérieur, par exemple le coup de poing ou le coup de pied, sont animés par le yang. Quand le bras se replie vers l’intérieur, il est dirigé par le yin. A l’inspiration, on se charge en énergie. A l’expiration, on est dans l’attaque ou la défense. Chaque séquence exige une grande concentration pour maîtriser les mouvements et la respiration.
Les cours commencent par des exercices pour échauffer les muscles et les articulations et préparer le mental. Ils se poursuivent par l’apprentissage progressif des séquences de mouvements, sans aller trop vite, pour bien mémoriser les enchaînements.
Passé ce stade, on se fond dans le groupe et on se sent connecté à l’environnement, un processus beaucoup plus naturel en plein air. «Quand on maîtrise les séquences, c’est magique, on ne voit pas passer l’heure», témoigne une participante qui explique se sentir portée par le «flow».
Apprentissage bien encadré
Pour choisir sa discipline ou un enseignant, il faut se fier au bouche-à-oreille et assister à un ou deux cours afin de choisir ce qui convient le mieux. Les diplômes les plus prestigieux ne remplacent pas la relation entre le maître et l’élève, sans parler du timbre de la voix.
Les cours se pratiquent généralement en groupe, ce qui facilite l’apprentissage. «Les débutants progressent beaucoup plus vite que s’ils étaient seuls», explique Rosa Fieschi. Les sessions commencent, comme toute séance de gymnastique, par un échauffement constitué de tapotements et de mouvements très doux avant d’enchaîner. «Il ne faut jamais se forcer, ni se prendre la tête», insiste Véronique Terrier. Si on respire naturellement, le souffle s’adaptera de lui-même aux mouvements.
«Il est normal de se sentir fatigué au début ou même paumé, comme quand on commence un sport», rassure Rosa Fieschi. A force de les répéter, les mouvements s’inscrivent dans une routine et on peut porter son attention sur ses sensations et le sentiment de bien-être.
En plein air, connectés à l’univers
«Quand je donne les cours à l’extérieur, je n’ai plus besoin de fournir d’indications, parce que tous les mouvements s’enchaînent naturellement», témoigne Véronique Terrier. En plein air, dans un parc, un jardin ou sur une terrasse, tous les sens sont en éveil et les sensations aiguisées: c’est une méditation en mouvement. Il faut en revanche beaucoup d’imagination pour se connecter à la nature si on enchaîne les gestes dans un sous-sol sans fenêtre. «Il n’y a aucune comparaison, renchérit Rosa Fieschi. Quand les participants ont dépassé un premier moment de distraction dû à un passant ou à un bruit inattendu, ils sont connectés à ce qui les entoure. A l’extérieur, on se sent comme un poisson dans l’eau, comme si on était en contemplation.»
Remboursement au compte-gouttes
Les cours de tai-chi et de qi gong ne sont pas remboursés par l’assurance de base. Ils sont pris en charge par certaines complémentaires, selon les conditions fixées par chaque compagnie. KPT (police Comfort) n’entre en matière (2000 fr. par an) que si le thérapeute est médecin, ou qu’il a une certification au registre de médecine empirique (RME) (1000 fr. par an). Concordia (Natura Plus) exige également un certificat pour rembourser 200 fr. par an. CSS paie 50%, jusqu’à 250 fr. par an aux assurés qui ont un «compte santé». Groupe Mutuel rembourse les cours, au même titre qu’un fitness, à raison de 50% jusqu’à 250 fr. par an selon la complémentaire. par an. Helsana (Sana ou Completa) prend en charge 75% des frais jusqu’à 200 fr. par an, le double avec la police Completa Plus, à condition que les prestataires soient reconnus par la caisse. Quant à Sanitas (Vital), elle ne rembourse que les cours individuels donnés par un thérapeute reconnu, pour autant qu’ils s’inscrivent dans un traitement d’une maladie. Assura n’entre pas en matière pour les cours de tai-chi ou de qi gong.
Claire Houriet Rime