Shampoings, crèmes, laits corporels, eaux micellaires, mousses à raser, déodorants, rouges à lèvres, dentifrices: longue est la liste des produits qui contiennent du limonène, du linalol, voire très souvent les deux. Pour notre magazine, il s’agit des ingrédients qui coûtent le plus fréquemment des points dans nos tests dévolus aux articles de beauté et de soins corporels. Ces substances parfumées font partie de celles qui pénalisent le plus sévèrement la note finale d’un produit.
La raison de cette sévérité? Leur potentiel allergique élevé. Limonène et linalol sont censés apporter une touche de fraîcheur aux cosmétiques (lire ci-contre). Peu nocifs à l’état brut, ils s’oxydent rapidement au contact de l’air. Selon le Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs (CSSC), les substances dérivées qui en résultent ont un effet allergisant beaucoup plus important. Elles peuvent provoquer de fortes irritations de la peau, des eczémas de contact, des cloques et des plaies ouvertes.
Sur l’épiderme et au-delà
C’est d’autant plus vrai pour les produits qui stagnent sur la peau parce qu’ils ne sont pas rincés après usage. Parmi eux, les crèmes (de jour, de nuit, pour les mains, le visage, le contour des yeux, etc.), les baumes à lèvres et rouges à lèvres, les fonds de teint, les anticernes ou encore les eye-liners.
En Suisse comme dans l’Union européenne, il n’existe pas de limite de concentration pour le limonène et le linalol dans les cosmétiques. Toutefois, leur présence doit être indiquée dans la liste des ingrédients si leur teneur dépasse 0,001% (10 mg/kg) dans les produits sans rinçage et 0,01% (100 mg/kg) dans ceux à rincer, rappelle l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Des «seuils très bas» qui visent à informer les consommateurs sensibles. L’office recommande simplement aux personnes avec un terrain allergique de consulter la liste des ingrédients des produits.
A s’en arracher les cheveux
Ce n’est pas si simple, puisque le limonène et le linalol peuvent déclencher des réactions même chez les consommateurs sans antécédents. Selon le CSSC, c’est arrivé fréquemment lors de tests cutanés. Pour des raisons de santé publique, Ma Santé ainsi que nos partenaires comme Bon à Savoir et K-Tipp traitons toujours ces deux ingrédients comme des substances fortement allergisantes, avec plus de sévérité que les autorités.
Particularité pour les shampoings: ils sont considérés comme des produits à rincer dans la législation, malgré les massages répétés du cuir chevelu, une zone cutanée très sensible, et cela quotidiennement pour de nombreux consommateurs. Pour pallier cette lacune, nos magazines classent les shampoings dans les produits qui restent sur la peau. Bien des articles trop dosés en limonène et linalol se retrouvent donc pénalisés.
Si peu d’efforts des industriels
Ma Santé a fait le tour des rayons cosmétiques de plusieurs grandes surfaces. Constat: les produits épinglés dans nos tests pour leur concentration élevée en limonène ou linalol, au cours des dernières années, n’ont pas changé leur potion magique. Du moins les deux ingrédients restent-ils affichés dans la liste. Les industriels se contentent souvent de respecter la loi, et très peu ont remplacé ces substances. Seule exception décelée: comme promis après un de nos tests, Coop a revu la composition de la crème de jour anti-âge de sa marque propre Naturaline. Limonène et linalol n’y figurent plus.
Dans d’autres cas, les engagements pris par les fabricants, il y a deux à quatre ans, n’ont pas été honorés. Certains articles continuent même de cumuler limonène, linalol et d’autres allergènes comme le géraniol, la coumarine ou le citronellol (lire ci-contre). Pourtant, un coup d’œil sur les étagères montre qu’il est facile de se passer des allergènes puisque pour chaque type de produit, des alternatives n’en contiennent aucun. Et ce n’est pas toujours là où on s’y attendrait: bien des articles estampillés naturels ou bio listent ces ingrédients, de même que des dentifrices pour enfants.
Limonène et Linalol
Le limonène et le linalol comptent parmi les plus puissants déclencheurs de réactions allergiques, et ce même si on peut lire sur le produit: «composants naturels des huiles essentielles» ou «testé sous contrôle dermatologique».
Pourquoi l’industrie les utilise: Agrémenter les cosmétiques d’effluves d’agrumes (limonène) et de lavande (linalol), afin de procurer une sensation de fraîcheur. Ces parfums vendent mieux les produits, mais n’ont pas de propriétés curatrices ou nettoyantes.
Effets sur l’environnement: Le limonène peut, à long terme, polluer les eaux et nuire aux organismes aquatiques. Une étude officielle allemande a montré en 2019 que les stations d’épuration ne retiennent pas totalement la substance.
Géraniol et autres allergènes
Limonène et linalol ne sont pas les seuls parfums au fort potentiel allergique, confirmé par des tests cliniques, qui se retrouvent régulièrement dans les cosmétiques. Un pointage dans les magasins montre que le géraniol, à l’odeur de rose, fait souvent partie de la liste des ingrédients. Lui aussi devient particulièrement irritant au contact de l’air. Moins fréquents, la coumarine à l’odeur de cannelle, le citral ou le citronellol ont été relevés dans nos tests. Et, plus rarement, l’eugénol, l’alcool benzylique, l’hexyl cinnamal, le benzoate de benzyle ou le salicylate de benzyle. Toutes ces substances doivent être étiquetées selon les mêmes règles que le limonène et le linalol.
Formaldéhyde en embuscade
Nos récents tests de cosmétiques montrent que les marques parviennent mieux à éviter certains conservateurs (tels les parabènes, des perturbateurs endocriniens) que d’autres. Le formaldéhyde, lui, demeure régulièrement détecté en laboratoire, comme pour nos tests de mascaras et de patchs pour les yeux, menés en 2024. Le formaldéhyde est cancérogène et peut irriter les muqueuses, la peau et les yeux. En général, les fabricants ne l’intègrent pas directement aux produits; mais cette substance est libérée petit à petit, à partir d’autres conservateurs. Dès août 2026, les fabricants devrontafficher la mention «contient du formaldéhyde» si la teneur dépasse en fin de compte 0,001%, et même s’il est progressivement libéré.
Phénoxyéthanol controversé
Un autre conservateur fait débat depuis longtemps: le phénoxyéthanol. Trop fortement dosé dans les cosmétiques, il est toxique pour le sang et le foie. L’Agence française de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande d’abaisser la concentration autorisée de 1% à 0,4% dans les articles destinés aux moins de 3 ans, mais le Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs juge que l’ingrédient est sûr avec une teneur de 1%. On n’insiste toutefois pas assez sur l’effet cocktail de ce conservateur fréquent, soit son accumulation à travers plusieurs produits. Par exemple, pour les tout-petits, via des lingettes, un lait hydratant, un nettoyant pour cheveux, une eau lavante et une crème pour le siège.