Côté casque, le patient déambule dans un jardin japonais, au son d’une musique zen, guidé par une voix off. Côté scalpel, un médecin applique un pansement sur la plaie à vif du malade. Deux réalités vécues de concert, l’une dans un paradis virtuel onirique, l’autre dans une salle blanche et aseptisée avec des soignants en chair et en os.
Hôpitaux, cliniques, centres d’imagerie médicale, instituts thérapeutiques: de plus en plus d’acteurs de la santé se dotent de casques de réalité virtuelle. Le plus souvent, cette technologie permet de détourner les patients de la douleur lors d’une opération, ou de réduire leur anxiété avant, pendant ou après un examen médical. Infirmier clinicien en cardiologie, Rui Filipe Coelho dos Santos a introduit il y a peu des visiocasques à l’hôpital fribourgeois (HFR). «C’est un vrai succès: les malades disent se sentir apaisés, ou captivés par l’immersion 3D.» A en oublier leurs maux ou leur inquiétude.
Libre choix et médication réduite
Le principe est toujours le même: le patient est totalement libre de choisir s’il souhaite porter ces «lunettes high-tech» ou non. Certains préfèrent écouter de la musique ou une voix off au cours d’un exercice de cohérence cardiaque. La réalité virtuelle, quant à elle, permet d’expérimenter ces deux activités en même temps, en plus de plonger le patient dans un univers visuel et sensoriel à fort potentiel hypnotique.
«Il est important de se sentir bien dans l’univers sélectionné», note Rui Filipe Coelho dos Santos, qui a reçu une formation autour de ces interfaces 3D. Après avoir enfilé le visiocasque de la société Healthy Mind, le patient choisit entre huit mondes naturels, de la plongée sous-marine à la randonnée en montagne. Et c’est parti pour 10 minutes de relaxation avant un examen médical, ou une immersion d’une heure au bloc opératoire.
Autre avantage de la réalité virtuelle: elle permet de réduire la médication. «On évite que des patients soient dans un état léthargique (ou, au contraire, trop agités) à cause de certaines substances, alors qu’ils doivent opérer des choix.» Certains patients en ambulatoire rentrent plus tôt à la maison. Au vu des retours positifs au service de cardiologie de l’HFR, d’autres secteurs de l’hôpital prévoient de se lancer.
Contre les phobies ou les addictions
Les études qui démontrent les bénéfices de la réalité virtuelle se succèdent depuis des années. A l’Hôpital du Valais, les univers 3D sont proposés comme moments d’évasion pour de jeunes malades confinés dans leur chambre. Certains casques virtuels aident à la rééducation de fonctions motrices, en invitant les patients à interagir physiquement dans un monde pourtant factice. Le tout nouveau centre NeuroRehab du CHUV estime cette technologie également prometteuse pour la neuroréhabilitation en cas de lésions cérébrales. La formation des médecins et infirmiers tire, elle aussi, profit des casques high-tech via les possibilités d’expérimentations sur des patients virtuels.
Dans le domaine de la santé mentale, la thérapie par exposition à l’aide de la réalité virtuelle (TERV) s’est développée ces dernières années. Hôpitaux et centres spécialisés utilisent l’immersion 3D pour combattre les phobies, l’anxiété, les troubles alimentaires ou les addictions. Souvent, le visiocasque parvient à réduire la médication, comme la prise d’anxiolytiques. L’objectif principal est d’exposer, petit à petit, le patient à la situation de vulnérabilité qu’il redoute pour lui permettre d’y faire face.
Rafik Bouzegaou, du Centre d’addictologie du canton de Fribourg, y a introduit un visiocasque de la société C2Care en 2022, après avoir été formé à son utilisation. Le médecin adjoint insiste sur la motivation du patient: «S’il ne croit pas à un apport positif par la réalité virtuelle, rien ne sert de pousser dans cette voie.» Ceux convaincus par la méthode ne porteront l’engin qu’après une phase de préparation: les mobiliser d’emblée risquerait de provoquer des rechutes, peu importe le type de dépendance (lire encadré).
Imbrications de deux réalités
Pour les addictions, le cœur de la thérapie est un processus d’exposition progressive et répétée au désir de consommer. «On déclenche celui-ci dans des environnements 3D, par exemple en représentant des bouteilles d’alcool dans une pièce, afin que la personne puisse développer des stratégies très personnelles et maîtriser son envie», explique Rafik Bouzegaou. Pour surmonter le pic de désir, le patient pourra vider les bouteilles dans un évier virtuel, sortir faire un tour, se contenter de respirer profondément, etc.
Une fois les stratégies bien entraînées grâce au visiocasque, on peut y mêler la réalité augmentée: «En produisant le bruit d’une cannette qui s’ouvre et en la plaçant près du sujet, on stimule l’ouïe et l’odorat, en plus du visuel», décrit le médecin.
Dernière étape: le patient a la possibilité de se confronter à de vraies bouteilles, accompagné dans un lieu réel tel qu’un bar. Rafik Bouzegaou et Isabelle Gothuey, directrice du Centre d’addictologie, assurent que les résultats de la thérapie sont bons, comme les retours d’expérience. La réalité virtuelle dans la santé mentale semble avoir de beaux jours devant elle.
Gilles D’Andrès
Les quatre étapes d’une thérapie appuyée par la réalité virtuelle
Pour un traitement serein, les médecins prévoient quatre phases distinctes. Durée: 3 à 4 mois, pour environ 12 séances.
Préparation: durant les premières séances, explication des buts du traitement au patient, techniques de gestion des émotions et exercices de relaxation
Préexposition: le patient se familiarise avec le casque et le déplacement dans l’espace (si souhaité), on observe sa tolérance à la réalité virtuelle
Exposition: le patient évolue progressivement dans des environnements virtuels, la difficulté croît au fil des séances pour gérer l’anxiété ou le désir de consommer
Transition avec la réalité: exposition du patient in vivo et discussions, puis suivi des stratégies développées pour assurer le maintien des bénéfices obtenus
Source: protocole élaboré par le Réseau fribourgeois de santé mentale
Des applications à choisir et utiliser avec prudence
Elles sont censées réduire la peur des araignées ou des voyages en avion, le vertige ou l’anxiété sociale. Sur nos téléphones portables, l’utilisation d’applications pour traiter les phobies, angoisses ou troubles alimentaires fait débat. Il s’agit la plupart du temps de réalité augmentée: on interagit avec l’objet de sa peur ou de son désir, qui vient se greffer à l’environnement appréhendé à travers l’écran de son smartphone (là où la réalité virtuelle fait apparaître tout un monde imaginaire).
Ces programmes valent-ils le détour? «D’après nos études, les applications Phobys et EasyHeights, pour surmonter la peur des araignées et l’acrophobie, aident les individus, même ceux avec une phobie spécifique, à réduire leur anxiété», illustre Dorothee Bentz, chercheuse à l’Université de Bâle et coconceptrice de EasyHeights. Ces applications peuvent être utilisées en solo, mais aussi intégrées à des thérapies. «Toutefois, nous n’avons pas encore de base scientifique sur les moyens de combiner exactement thérapie standard et application, par exemple pour un traitement de suivi.»
Plusieurs psychothérapeutes interrogés estiment que les applications de réalité augmentée peuvent être utiles surtout en cas de phobies peu sévères, pas trop envahissantes et qui ne se manifestent pas depuis longtemps. Mais elles ne remplacent pas une thérapie ou un accompagnement professionnel. Preuve du manque de recul sur ce thème, la Fédération suisse des psychologues (FSP) renonce à prendre position.
Comment repérer les applications utiles? Difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. On recherchera les applications conçues par des chercheurs et dont l’efficacité a été prouvée par des études. Exemple d’actualité: le jeu vidéo The Diner de la start-up Neuria, accessible pour la première fois ce mois de mai, dans le cadre de la campagne Maybe less sugar de diabètevaud (jouer sur diner.neuria.ch/custom/). L’utilisateur réagit par réflexe à des images de boissons sucrées. Avec la pratique, jouer induit des modifications dans le cerveau qui finissent par diminuer l’attrait et la consommation de ces boissons dans la réalité. Les créateurs signalent, là aussi, une approche complémentaire à un suivi ou régime.