C’est le médicament le plus consommé au monde. Son prix modeste et son accessibilité y sont pour beaucoup. Tout comme son principe actif, l’acide acétylsalicylique (ASS), qui a plus d’un effet dans ses cachets: anti-inflammatoire, analgésique, antipyrétique (pour combattre la fièvre) ou anticoagulant. Ses propriétés reconnues sont multiples.
L’aspirine est si populaire qu’on lui attribue toute une série de vertus. On entend souvent qu’elle est un rempart contre les maladies cardiovasculaires et certains cancers (lire encadré). A tel point qu’on peut se demander si on ne devrait pas tous faire comme Donald Trump: suivre un traitement faiblement dosé en avalant un petit comprimé de 82 mg tous les jours à titre préventif!
Pas d’Aspirine pour rien!
Médecin cadre au Service de médecine interne du CHUV, Dr Claudio Sartori recentre immédiatement le débat: «Pour les personnes qui sont en bonne santé et qui ne présentent pas de risques particuliers, l’aspirine n’est pas recommandée en prophylaxie. Du moins, les études qui ont été réalisées jusqu’à aujourd’hui montrent que les bénéfices ne compensent pas les risques.»
Car comme tout médicament, l’ASS n’est pas dénué d’effets secondaires. Le gros point noir, c’est l’augmentation sensible du risque hémorragique. On pense, en premier lieu, aux saignements gastro-intestinaux, mais également aux hémorragies intracrâniennes. Comme de telles complications peuvent être invalidantes, voire fatales, on aurait tort de les prendre à la légère. C’est encore plus vrai à partir de 75 ans, sachant que le risque augmente sensiblement avec l’âge.
Une efficacité évidente
Si les recherches sur l’ASS – et les recommandations qui en découlent – sont en permanente évolution, il y a des certitudes bien établies. A commencer par son évidence dans la prévention secondaire des problèmes cardiovasculaires. «Il n’y a effectivement aucun doute à ce sujet, confirme Dr Claudio Sartori. On sait que l’aspirine réduit autant le risque de récidive que la mortalité chez les patients qui ont déjà souffert d’un événement cardiovasculaire comme l’infarctus ou l’AVC. Ceci n’est plus à prouver.»
En l’occurrence, l’efficacité de l’ASS réside dans son action antiagrégante. Action qui, comme son nom l’indique, empêche l’agrégation des plaquettes sanguines et, par ricochet, la formation de caillots dans les artères. On comprend, dès lors, pourquoi c’est un traitement précieux pour celles et ceux qui ont déjà connu des problèmes cardiovasculaires.
Bien peser les risques
En prévention primaire, c’est-à-dire pour les personnes qui n’ont pas encore eu de problèmes de santé, la prescription d’aspirine doit être nettement plus ciblée: «Pour que les bénéfices soient supérieurs aux effets négatifs, il faut que les patients aient un risque élevé d’avoir des problèmes cardiovasculaires que l’on estime à 10% au cours des dix prochaines années», précise le spécialiste. Evaluation qui se base sur l’appréciation de plusieurs facteurs comme le poids, le taux de cholestérol, le tabagisme, la tension artérielle ou les antécédents familiaux.
En définitive, l’aspirine reste incontestablement un médicament intéressant. Mais en prendre tous les jours – même faiblement dosée – ne doit pas être le fruit d’un choix farfelu. Il est essentiel d’en discuter avec son médecin pour mettre dans la balance les bienfaits et les dangers encourus.
Yves-Noël Grin
Eclairage
Des bienfaits anticancéreux
Les recherches sur les bénéfices de l’aspirine dans la prévention des cancers sont beaucoup plus récentes. Il manque, par conséquent, des données probantes sur le sujet. Pour l’heure, plusieurs études ont montré que l’aspirine pourrait contribuer à prévenir le cancer colorectal notamment. Son action réduirait le risque de développer un tel cancer et la mortalité qui lui est associée.
Il semblerait aussi que l’effet escompté n’apparaîtrait qu’à long terme, soit après la prise d’ACC faiblement dosée (moins de 100 mg) pendant une dizaine d’années. Mais qui dit médication prolongée, dit risque d’hémorragie plus grand également!
Pour les autres cancers, les recherches réalisées à ce jour sont moins convaincantes et les résultats disparates. Raison pour laquelle la prudence reste de mise: sans suivi médical, la prise régulière d’aspirine peut faire plus de mal que de bien.