Des maux de tête intenses, souvent unilatéraux et qui tapent comme des battements de cœur, accompagnés de nausées et d’une intolérance à la lumière et aux bruits. La migraine n’est pas une maladie mortelle mais elle pourrit l’existence lorsqu’elle se manifeste par des crises fréquentes et sévères. Les victimes sont alors contraintes de s’isoler dans l’obscurité sans pouvoir travailler ou sortir pendant des heures, ou même plusieurs jours. «Au niveau mondial, il s’agit de la deuxième pathologie qui affecte le plus la qualité de vie derrière le mal de dos», relève ainsi Andreas Kleinschmidt, médecin-chef du Service de neurologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et président de la Société suisse pour l'étude des céphalées (SSC).
Les migraines ayant une prédisposition génétique, beaucoup de malades la considèrent encore comme une fatalité familiale et la traitent en automédication. Le résultat est souvent insatisfaisant et peut donner lieu, entre autres, à des abus d’antalgiques provoquant eux-mêmes des céphalées! D’où l’intérêt d’en parler à son médecin, qui écartera au passage d’autres pathologies (lire l’encadré) et enverra, au besoin, le patient chez le neurologue. «Il est important d’expliquer qu’on ne peut pas guérir la migraine mais qu’il est possible d’améliorer les choses à la condition, peut-être, d’essayer plusieurs traitements successivement», souligne Andreas Kleinschmidt. Les traitements sont individualisés car les patients réagissent très différemment. Quelques comprimés de paracétamol suffisent à certaines personnes alors que d’autres peuvent en consommer comme des bonbons sans aucun effet.
Heureusement, l’arrivée récente de nouveaux médicaments offre des armes supplémentaires efficaces, tandis que d’autres molécules, qui viennent d’être autorisées aux Etats-Unis, se profilent à l’horizon.
Traitement aigu et traitement de fond
La prise en charge médicamenteuse repose sur deux grands axes: un traitement aigu lors des crises, pour soulager rapidement la douleur, auquel s’ajoute, dans certains cas, un traitement de fond visant à réduire la fréquence et l’intensité des épisodes migraineux.
Pour les crises, on tente d’abord les antalgiques classiques, comme l’ibuprofène ou le paracétamol en les accompagnant souvent d’un antinauséeux. Lorsque les antalgiques ne soulagent pas ou provoquent des intolérances, on s’oriente vers les triptans. Ces médicaments, qui datent d’une trentaine d’années, ont été développés spécifiquement contre la migraine. Ils sont efficaces, mais ont des contre-indications, notamment en cas de pathologie coronarienne, et ils peuvent entraîner de nombreux effets secondaires allant jusqu’aux complications cardiaques.
Ces désagréments pourraient s’estomper avec les ditans et les gepants, deux nouvelles classes de médicaments oraux qui ont été autorisés récemment aux USA. «Ils ne seront vraisemblablement pas plus efficaces que les triptans mais devraient être mieux tolérés. Nous les proposerons donc sans doute aux patients auxquels les antalgiques puis les triptans n’ont pas convenu. On ne sait pas encore quand ils seront disponibles», explique notre spécialiste.
Un nouveau médicament biologique
Et le traitement de fond? Il s’impose notamment dans les formes sévères, lorsqu’un malade subit plus de trois crises mensuelles dépassant un total de cinq jours et qu’elles sont invalidantes. Jusqu’à très récemment, les spécialistes utilisaient des médicaments élaborés pour d’autres pathologies, comme des antihypertenseurs et des antiépileptiques, dont l’efficacité pour la migraine avait été découverte fortuitement. Les choses ont changé depuis peu avec la mise sur le marché depuis 2018 de médicaments destinés spécifiquement aux migraines. Ce sont, à la différence des médicaments classiques «chimiques» des produits «biologiques». Ces anticorps monoclonaux bloquent l’activité du CGRP, un neuropeptide connu pour son rôle dans le déclenchement de la migraine.
Tout le monde ne répond pas à ce traitement par injections sous-cutanées, mais il fait disparaître complètement les crises chez 10% des patients et a l’avantage d’être quasiment libre d’effets secondaires, si ce n’est des réactions allergiques qui peuvent imposer d’y renoncer. Ce médicament est fragile (il doit être conservé au froid) et cher, près de 700 fr. par mois. Seuls les neurologues peuvent le prescrire et les conditions de remboursement sont strictes. Le patient doit, entre autres, avoir suivi au minimum deux traitements de fond sans succès et souffrir d’au moins huit jours de migraine par mois depuis un trimestre. En outre, son utilisation doit être justifiée à intervalles réguliers, révèle Andreas Kleinschmidt.
Une bonne hygiène de vie
Le traitement préventif des migraines n’est pas que médicamenteux. Une bonne hygiène de vie est susceptible aussi d’avoir des effets positifs pouvant aller jusqu’à la disparition des douleurs. La tenue d’un calendrier des céphalées permet de déterminer d’éventuels éléments déclencheurs d’ordre personnel, environnemental ou alimentaire. «Le stress déclenche des crises pour de nombreuses personnes, note ainsi Andreas Kleinschmidt. Chez d’autres, ce sont les conditions météorologiques, comme la bise, qui amènent d’ailleurs certains patients à déménager.» Le manque de sommeil ainsi que l’alimentation et les boissons telles que le café et l’alcool sont également susceptibles de jouer un rôle.
L’activité physique, de type cardio, est fréquemment bénéfique. «Pas mal de patients réagissent bien aussi à la stimulation électrique transcrânienne, glisse Andreas Kleinschmidt. Il s’agit d’un petit boîtier doté d’une électrode que le patient met sur son front et qui délivre des impulsions électriques. Il n’y a quasiment pas d’effets secondaires.»
Enfin, le temps fait aussi son œuvre. Chez les femmes, parmi lesquelles la maladie est trois fois plus fréquente que chez les hommes, bon nombre de migraines sont liées aux cycles menstruels et disparaîtront avec la ménopause.
Sébastien Sautebin
Eclairage
Céphalées primaires et secondaires
Tous les maux de tête ne sont pas des migraines. On peut, pour commencer, distinguer les céphalées primaires des secondaires. Ces dernières sont en fait les symptômes d’une pathologie distincte, identifiable et traitable en tant que telle, d’origine infectieuse, vasculaire ou encore articulaire. Souvent, il s’agit d’une infection banale des voies respiratoires supérieures, mais les céphalées secondaires peuvent aussi être l’expression d’une atteinte grave comme une hémorragie ou un AVC. «Les migraines n’atteignent pas leur pic immédiatement. Par conséquent, en cas de céphalée aiguë, brutale, qui se produit pour la première fois, il faut se rendre aux urgences», prévient Andreas Kleinschmidt.
Les céphalées primaires, quant à elles, sont le plus souvent des céphalées de tension et, dans environ 30% des cas seulement, des migraines. Les premières se distinguent notamment par leur intensité légère à modérée alors qu’elle est modérée à sévère pour les migraines. La distinction n’est pas toujours évidente, mais les migraines sont plutôt unilatérales, pulsatiles, exacerbées par l’activité physique et susceptibles de provoquer de la photophobie et des nausées, alors que les céphalées de tension se manifestent par des épisodes de pression douloureuse non pulsatiles qui enserrent le crâne et elles ne provoquent pas de nausées ni de vomissements.
Parmi les migraines, environ 20% sont accompagnées d’auras. Les maux de tête sont précédés de troubles visuels comme des étincelles ou des taches qui se déplacent dans le champ visuel, par des fourmillements ou encore des faiblesses dans un côté du corps. Il n’y a pas réellement de traitement spécifique pour les auras, mais cette forme de migraine double le risque de subir un accident vasculaire, note Andreas Kleinschmidt.