Selon les estimations, 10 à 20% des Suisses souffrent d’intolérance au lactose. Les grands détaillants ont flairé un marché juteux et proposent une vaste gamme de produits portant la mention «sans lactose». Ces denrées, qui contiennent moins de 0,1 g de lactose par 100 g, comme la loi l’exige, sont vendues au prix fort. Or, leur achat n’est souvent pas nécessaire. «Les études scientifiques montrent que les intolérants au lactose en tolèrent, en fait, des quantités assez significatives», remarque Jean-Louis Frossard, responsable du service de gastro-entérologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La plupart des personnes intolérantes supportent ainsi 12 g de lactose par jour sans symptômes, avec un maximum de 6 g par portion (lire encadré).
Prenons quelques denrées: le beurre contient naturellement 0,6 g de lactose par 100 g, la mozzarella 0,7 g, la feta 1,4 g et la crème à café 3,8 g (voir illustration). Une personne qui étale 30 g de beurre sur trois tartines ingère donc 0,2 g de lactose. Elle avalera 1,1 g de lactose en mangeant 75 g de feta ou 150 g de mozzarella, et 0,45 g si elle agrémente son café avec 12 g de crème. Même additionnées, ces quantités restent très éloignées des maxima supportés.
«Du beurre délactosé, ça n’a pas de sens»
Dès lors, les intolérants ont-ils vraiment besoin d’acheter des aliments «sans lactose»? «Non, pas du tout, répond Sidonie Fabbi, maître d’enseignement en nutrition et diététique à la Haute école de santé de Genève (HEdS). Du beurre, de la feta ou de la mozzarella délactosés, ça n’a pas de sens! A part le lait, qui est riche en lactose (4,7g/100ml), et peut donc poser des problèmes lorsqu’il est consommé en grandes quantités, je ne vois pas vraiment d’utilité à ces produits.»
Ils peuvent, certes, constituer un choix pertinent pour les personnes très intolérantes qui adorent les produits laitiers, nuance la spécialiste. «Mais c’est un marché d’ultra-niche, qui ne justifie pas le vaste choix proposé dans les rayons.» Sidonie Fabbi y décèle une stratégie mercantile de l’industrie agroalimentaire.
Un avis partagé par Jean-Louis Frossard: «Si un patient me dit qu’après avoir bu un verre de lait, il développe une diarrhée dans le quart d’heure qui suit, je vais clairement tenter d’améliorer la situation avec une éviction du lactose. Mais dans ma carrière, je n’en ai pas vu beaucoup. Pour l’intolérant moyen, les produits ‘sans lactose’, correspondent à du pur marketing.»
Quand consulter
Il revient à chaque personne d’évaluer sa propre situation, souligne Barbara Walther, spécialiste des produits laitiers et responsable du groupe Nutrition, à Agroscope, le Centre de compétence de la Confédération pour la recherche agroalimentaire. La scientifique confirme par ailleurs que «les denrées qui apportent du lactose en quantités réduites ou infimes sont assez bien tolérées».
Tenir un journal permet ainsi de déterminer son seuil de tolérance. Il est judicieux, également, de fractionner les prises de produits laitiers et de consommer d’autres aliments en même temps. On peut aussi privilégier les fromages affinés qui ne contiennent plus de lactose.
Jean-Louis Frossard recommande de consulter «dès qu’il y a une souffrance récurrente, ou en cas de signaux d’alarme, comme du sang dans les selles». Dans la pratique, le gastro-entérologue suggère aux patients très symptomatiques de prendre des pastilles de lactase lorsqu’ils savent qu’ils vont consommer du lactose. Disponible dans les commerces ou en pharmacie, la lactase est sans effets secondaires majeurs, mais les études montrent qu’elle n’est pas efficace pour tous les patients.
La réponse des vendeurs
Comment les détaillants défendent-ils leurs produits? Coop estime qu’«ils offrent tous une sécurité en minimisant le risque de dépasser sa propre tolérance». Migros ne souhaite pas se prononcer sur leur nécessité: «Notre mission consiste à proposer une diversité de produits et de permettre à notre clientèle de faire son choix selon ses préférences ou ses besoins.» Enfin le Centre d’Allergie Suisse aha!, qui coopère avec Migros et Coop pour le label de qualité «Allergie», déclare: «Les personnes concernées, qui souffrent de symptômes, doivent adapter leur alimentation. La consommation de produits ‘sans lactose’ élargit nettement l’éventail des possibilités. Ils permettent aussi de limiter l’apport en lactose tout en fournissant les nutriments présents dans les produits laitiers.»
Sébastien Sautebin
L’intolérance au lactose
Le lactose est le sucre présent dans le lait des mammifères. Normalement, une enzyme, la lactase, le décompose dans l’intestin grêle afin d’en permettre l’absorption. Chez certaines personnes, la lactase diminue avec le temps. Le sucre de lait atteint, alors, le gros intestin sans être absorbé et y fermente, ce qui peut entraîner ballonnements, diarrhée, etc. L’intolérance au lactose n’est pas une allergie. Elle ne met pas la vie en danger et n’endommage pas la muqueuse intestinale.