Les modifications prévues par le projet «Prévoyance 2020» pour l’AVS et le 2e pilier sont le fruit de subtiles pesées d’intérêts: retraite à 65 ans pour tous, baisse de la rente du 2e pilier, bonus pour l’AVS, hausse des cotisations tous azimuts et augmentation de la TVA. A Berne, ce fragile mikado a failli échouer au Parlement. Il est combattu par un référendum lancé par les syndicats lémaniques (lire ci-contre «Le pour et le contre»).
Voici les grandes lignes du projet avec ses conséquences pour un jeune de 25 ans qui commence sa carrière aujourd’hui (lire p.23 «Le prix à payer pour une même rente»). A noter que les retraités actuels ne sont pas concernés. Quant aux modifications dans le 2e pilier, elles ne touchent que la partie obligatoire du salaire (lire ci-dessous «Les mots pour le dire»).
Du nouveau dans l’AVS
⇨ Age de la retraite: hommes et femmes travailleront désormais jusqu’à 65 ans. Il sera possible d’anticiper la retraite de trois ans, moyennant une réduction de la rente, ou de l’ajourner de cinq ans au maximum, augmentation à la clé. Si on travaille après 65 ans, on continuera de cotiser et les montants versés seront pris en compte pour le calcul de la rente.
L’âge de la retraite est donc ajourné de trois mois en 2018 pour les femmes nées en 1954, de six mois en 2019 (1955), de neuf mois en 2020 (1956). Ensuite, retraite à 65 ans pour tous.
⇨ Rente AVS: un supplément de 70 fr. sera versé sur toutes les futures rentes individuelles à partir de 2019. Pour les couples, la rente passe à 155% de la rente maximale (+5%, au maximum 226 fr.). S’il manque des années de cotisations (rente incomplète), ce bonus sera diminué en conséquence.
⇨ Cotisations: les cotisations augmentent de 0,3% à partir de 2021, à parts égales (0,15%) entre employeur et employé.
2e pilier
⇨ Age de la retraite: tout le monde travaille jusqu’à 65 ans, avec possibilité de prendre une retraite flexible entre 62 ans et 70 ans. Les caisses de pension peuvent prévoir une rente dès 60 ans.
⇨ Le taux de conversion passe de 6,8% à 6%. La baisse est de 0,2% par an à partir de 2019 pour atteindre 6% en 2022.
⇨ Les taux de bonification pour l’épargne vieillesse augmentent de 1% entre 35 ans et 54 ans à partir de 2019, à charge égale entre employeur et employé. Cette mesure vise à augmenter le capital des assurés, afin de compenser la baisse du taux de conversion.
⇨ Le seuil d’entrée dans le 2e pilier reste fixé à 21 150 fr. A partir de 2019, la déduction de coordination s’élève à 40% du salaire annuel, mais au moins 14 100 fr. et au maximum
21 150 fr.
⇨ Période transitoire: la réforme sera sans conséquence pour les assurés nés jusqu’en 1973, car ils ne peuvent plus compenser la baisse du taux de conversion en cotisant davantage. Les caisses appliqueront déjà le taux de conversion réduit à 6%, mais le Fonds de garantie LPP versera la différence.
⇨ Chômage: les personnes qui perdent leur emploi à 58 ans et plus peuvent rester assujetties à une caisse de pension avec les mêmes droits (taux d’intérêt sur le capital, droit à la rente, taux de conversion) que les autres.
TVA
Hausse du taux de TVA de 0,6%: dès 2018, la part de la TVA de 0,3% affectée aujourd’hui à l’AI financera l’AVS. Le taux restera ainsi inchangé à 8%, sans supplément pour les consommateurs. En 2021, il augmentera en revanche de 0,3%, ce qui engendrera une hausse des prix.
Claire Houriet Rime
Petit lexique du 2e pilier
Les mots pour le dire
Déduction de coordination: la prévoyance professionnelle complète le 1er pilier afin d’améliorer le niveau de vie à la retraite. Par conséquent, pour fixer la part du salaire à assurer, on déduit du salaire les 7/8es de la rente AVS maximale, soit 24 675 fr. (chiffres 2017). On obtient ensuite le salaire coordonné sur lequel on paie les cotisations. Un revenu brut de 6500 fr. par mois payé 13 x, soit 84 500 fr. par an, dégage ainsi un salaire coordonné de 59 825 fr.
Obligatoire et surobligatoire: la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) ne régit que la part du salaire comprise entre 24 675 fr. et un plafond fixé à 84 600 fr.: c’est la part obligatoire, soit au maximum 59 925 fr. Le reste est considéré comme surobligatoire et est géré librement.
Taux de conversion: c’est le pourcentage appliqué par la caisse de pension sur la part du capital de prévoyance obligatoire pour déterminer la rente. Pour une tranche de capital de 100 000 fr., un taux de 6,8% représente une rente annuelle de 6800 fr.
Taux de bonification: c’est le montant de la cotisation sur le salaire qui constitue l’épargne vieillesse. L’épargne démarre à 25 ans (7% du salaire coordonné) et augmente au fil du temps pour atteindre 18% dès 55 ans.
Fonds de garantie LPP: c’est une cagnotte alimentée par les caisses de pension pour venir en aide aux institutions en difficulté. C’est elle qui financera la compensation de la baisse du taux de conversion pour les assurés nés jusqu’en 1973.
Le pour et le contre
«Prévoyance 2020» est le fruit de longues négociations qui se sont terminées par un véritable bras de fer au Parlement. Le compromis a été approuvé de justesse (voir photo). La hausse de la TVA, qui nécessite de modifier la Constitution, requiert la majorité du peuple et des cantons.
Pour susciter un débat sur le fond, les syndicats lémaniques ont lancé un référendum contre la loi dans son ensemble. S’il aboutit, seule la majorité des voix est requise pour qu’elle passe. Mais attention: le refus d’un des deux objets (hausse de la TVA ou «Prévoyance 2020») ferait échouer toute la réforme.
Pour les partisans du projet, il est urgent d’agir pour garantir la stabilité financière de notre système de prévoyance. L’augmentation de l’espérance de vie et la baisse des rendements sur les marchés fragilisent l’équilibre entre les recettes et les dépenses, sans parler des taux négatifs sur les capitaux. Quant au taux de conversion, il a déjà baissé dans les caisses qui jouent avec la part surobligatoire. Et ce, aux frais des assurés (lire page 46).
Les opposants se divisent en deux camps.
A droite, les milieux patronaux jugent le prix de la réforme insupportable pour les générations futures et les rentiers actuels. Ils plaident pour un relèvement progressif de l’âge de la retraite pour tous. Le projet est à leurs yeux trop coûteux et l’augmentation des rentes AVS, selon le principe de l’arrosoir, n’a pas de sens. Quant à la compensation de la baisse du taux de conversion, elle favorise trop la génération des baby-boomers.
A gauche, les syndicats lémaniques dénoncent un plan de sauvetage des caisses de pension effectué sur le dos des assurés. Ils rejettent le report de l’âge de la retraite pour les femmes que le bonus de 70 fr. sur la rente AVS ne suffit pas à compenser. En acceptant la réforme, on donnerait un signe favorable à la retraite à 67 ans. Le supplément à payer (TVA et hausse des cotisations) serait en outre difficilement supportable pour les plus modestes. Il n’est enfin pas sûr que la hausse des cotisations LPP compense la baisse du taux de conversion pour le calcul de la rente.