Chaque nuit en Suisse, des milliers de personnes se retournent dans leur lit et s’angoissent en prévision du lendemain. Le moment venu, il faudra affronter la difficulté à se concentrer, les moments de somnolence et l’irritabilité. Quand l’insomnie gâche non seulement les nuits, mais aussi les journées, c’est le moment d’agir.
Le premier réflexe est de demander des somnifères. Cette option crée une dépendance et ne résout rien sur la durée. Depuis le début des années 2000, la thérapie cognitivo-comportementale reprogramme en quelques semaines le cerveau pour réapprendre à dormir et ce, sans effets secondaires. Elle s’adresse à tout un chacun: opter pour cette démarche ne signifie pas qu’on a des troubles psychiques, mais simplement qu’il faut corriger un mauvais pli.
Encore peu connue du grand public et du corps médical, cette approche requiert, certes, un gros engagement du patient. Elle implique en effet de limiter drastiquement les heures passées au lit pendant quelques semaines (lire l’encadré: «Réapprendre à dormir»). Ces efforts ne sont pas vains car, à l’issue du traitement, l’insomniaque aura renoué avec le sommeil et appris à gérer les périodes difficiles.
Le diagnostic
«Quand nous recevons un nouveau patient, la première chose à faire est d’éliminer les causes physiques du problème telles que l’apnée du sommeil», explique Tifenn Raffray, directrice médicale du Centre du sommeil Florimont à Lausanne. «Nous lui demandons ensuite de décrire son vécu en examinant le déroulement de sa journée sur 24 heures: il est faux de croire qu’on doit dormir huit heures par nuit en continu pour être en bonne santé! Selon les individus, six heures de sommeil peuvent suffire.»
La véritable insomnie a un impact important sur la qualité de vie au quotidien. Le diagnostic se confirme si le patient met plus de 30 minutes à trouver le sommeil le soir et autant pour se rendormir après les réveils nocturnes, s’il se réveille une heure ou davantage avant l’heure à laquelle il devrait se lever pour être en forme et tout ça, trois nuits ou davantage par semaine. Pendant la journée, l’insomniaque souffre de fatigue, de difficultés de concentration et de moments d’irritabilité.
Si ces symptômes durent depuis plus de six mois, il s’agit d’une insomnie chronique.
Dans la tête et le corps
«On parle dans ce cas d’insomnie psycho-physiologique», poursuit Tifenn Raffray. Les problèmes se situent en effet, d’une part dans la manière dont le patient envisage ses nuits et, d’autre part dans la manière dont son corps se prépare au sommeil. Sur le plan psychologique, l’insomniaque est souvent de nature anxieuse. Pour ne rien arranger, il dramatise le problème: «Si je ne dors pas, je ne serai pas à la hauteur demain.»
Sur le plan physiologique, son pouls, sa tension, sa température sont plus élevés qu’ils ne devraient l’être. En bref, tous les paramètres physiques indiquent que le patient est trop réveillé pour dormir. C’est le cercle vicieux: le sommeil lui échappe et il panique à l’idée du lendemain. Impossible, dans ces conditions, de retrouver le sommeil…
Rééquilibrer le sommeil
Les spécialistes décrivent le mécanisme de l’endormissement comme une balance avec, d’un côté, le besoin de sommeil et, de l’autre, le sentiment d’éveil. Quand on dort bien la nuit, l’organisme fait pencher cette balance tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Le soir, l’envie de dormir pèse lourd. Les sens, eux, s’émoussent, le corps fonctionne au ralenti et on est moins vif. A l’inverse, le matin, toutes les fonctions vitales pèsent plus lourd dans la balance et le besoin de sommeil s’allège.
Chez les insomniaques, tous les sens sont en alerte et prennent le dessus: le cerveau ne fait plus la différence entre le sommeil et l’éveil. Pour retrouver les signes du sommeil, on agit, d’une part, en diminuant drastiquement les heures passées au lit et, d’autre part, en instaurant un moment de décompression et de calme avant d’aller se coucher.
Le traitement doit être observé scrupuleusement sur plusieurs semaines pour instaurer de nouvelles habitudes et réapprendre au cerveau à lâcher prise. A la fin du traitement, le patient n’appréhendera plus de se coucher pour une nuit entrecoupée dans l’attente de se lever, épuisé. Il se réjouira de retrouver son lit pour une bonne nuit de sommeil.
La thérapie cognitivo-comportementale permet de retrouver le sommeil en quelques semaines. Elle implique un engagement important du patient, car sa réussite nécessite de respecter strictement les consignes suivantes.
1. Oublier l’heure
Pendant ses réveils nocturnes, l’insomniaque a souvent l’œil rivé sur sa montre ou le réveil. Au fur et à mesure que l’heure tourne, il angoisse à l’idée d’affronter la journée du lendemain: «Déjà un quart d’heure, une heure, plus que trois heures à dormir: je dois me rendormir impérativement!» Or, plus on essaie de contrôler son sommeil, plus il nous échappe. La première mesure pour lâcher prise est de ne pas regarder l’heure pendant la nuit: la durée idéale de sommeil varie selon les individus, et même selon les périodes. Il est inutile de la connaître avec précision. Ce premier pas, moins facile qu’il n’y paraît, est décisif pour diminuer la pression.
2. L’agenda du sommeil
Une fois l’insomnie diagnostiquée, le patient est invité à tenir, pendant deux semaines, son agenda du sommeil. Il va écrire, sur une grille, l’heure du coucher, celle à laquelle il s’est endormi, celle du lever, ainsi que le nombre de réveils et leur durée. Comme il ne regarde pas l’heure, ces indications reposent sur sa perception. Il notera aussi les éventuels moments de somnolence pendant la journée.
3. Tisane et pantoufles
Relever ses mails professionnels sur son smartphone ou répondre aux messages est le meilleur moyen de ne pas trouver le sommeil. D’abord, parce que le cerveau n’est pas un ordinateur qu’il suffit d’éteindre pour qu’il déconnecte: il a besoin d’une phase de décompression pour rejoindre les bras de Morphée. Ensuite, parce que la lumière bleue diffusée par les smartphones et les tablettes bloque la sécrétion de l’hormone du sommeil, la mélatonine.
Les accros de la tablette opteront pour des lunettes à verre orangé qui bloquent la lumière bleue. On peut aussi aménager un sas de décompression après une journée en s’offrant un moment de calme, que ce soit autour d’une boisson sans alcool ni caféine, en prenant une douche, en regardant une émission (pas un thriller haletant!) ou en ouvrant un livre. Ce rituel vise à préparer le cerveau au sommeil; il doit idéalement être répété chaque soir.
4. Au lit, enfin!
Grâce à la grille qu’il a remplie, le patient évalue le temps qu’il a réellement consacré à dormir pendant la nuit. Ce chiffre, qui peut descendre à cinq heures, permet de calculer le minimum de temps à passer au lit. Pendant une semaine, on ne dépassera pas cette limite. Ainsi, si le patient va au lit à minuit, il se lèvera à cinq heures et demie sans s’octroyer de sieste pendant la journée.
Cette démarche est l’étape la plus difficile et l’élément clé de la thérapie. C’est même un véritable défi, mais elle est incontournable pour recréer la pression du sommeil. «No pain, no gain», résume Tifenn Raffray. La première étape passe par une période de plus grande fatigue avant de sentir un mieux-être. Autrement dit, il faut souffrir pour réapprendre à dormir. Attention: pour rééduquer le cerveau, ce rythme doit être respecté tous les jours, même le week-end. Pendant ce temps, le patient continuera à noter scrupuleusement les heures de sommeil.
Les effets de ce traitement ne se font pas attendre: après quelques jours, l’insomniaque se réjouit de voir minuit arriver pour pouvoir, enfin, se coucher. Au fil des jours, il retrouvera confiance dans sa capacité à dormir et l’angoisse des nuits blanches s’estompera.
Après une semaine, si les réveils nocturnes s’espacent et se raccourcissent, il pourra augmenter le temps passé au lit d’un quart d’heure à la fois, jusqu’à ce qu’il se sente en pleine forme pendant la journée.
5. Un nid contre l’insomnie
Vaincre l’insomnie ne veut pas dire supprimer les réveils nocturnes, mais savoir les gérer. Pas question de regarder l’heure pour retomber dans de vieux schémas ou de laisser les idées tourner en boucle: le lit doit rester l’endroit où on dort. Si on n’arrive pas à se rendormir après une vingtaine de minutes, on se lèvera jusqu’à ce qu’on ait retrouvé son calme, en gardant à l’esprit qu’une mauvaise nuit, ce n’est pas grave: on récupérera la suivante.
Tifenn Raffray conseille d’anticiper ces réveils en aménageant un nid douillet, par exemple avec des couvertures: inutile de s’infliger une heure d’attente sur un tabouret de cuisine. Dessiner, bouquiner, tricoter, faire un puzzle ou des maquettes ou classer des recettes de cuisine: toutes les activités sans écran sont permises. Elles sont aussi indiquées le soir en début de thérapie, quand il faut attendre minuit pour aller au lit et ce, sans s’endormir devant la télévision.
Les sujets anxieux auront à portée de main un bloc-notes où ils inscriront la liste des choses qui les préoccupent, en prévoyant un moment pour y penser le lendemain. Toutes les méthodes de relaxation sont en outre bienvenues.
6. Retour à la normale
A la fin de ce traitement, le patient a retrouvé l’alternance entre sommeil et éveil. Le retour à la vie normale se fait progressivement. «Les insomniaques restent fragiles et une rechute n’est pas impossible, surtout chez les patients anxieux, sans parler des aléas de la vie» observe Stephen Perrig, médecin adjoint au Centre de médecine du sommeil des HUG. A l’issue de la thérapie, les patients ne sont, certes, pas vaccinés, mais ils ont les outils pour gérer cette prédisposition.
7. La TCC en Suisse romande
A Lausanne, le Centre du sommeil de Florimont propose des thérapies de groupe et accueille chaque mois sept personnes pour une nouvelle session. «La nuit, l’insomniaque se sent seul au monde. Lors des séances, nos patients s’aident mutuellement en trouvant des idées pour relever le défi du traitement», explique Tifenn Raffray. A Genève, le Centre de médecine du sommeil privilégie les consultations individuelles. Dans tous les cas, le contact avec le thérapeute est préférable aux solutions en ligne pour augmenter les chances de réussite.
«Nous en sommes aux balbutiements dans ce domaine», relève Stephen Perrig. Dans la plupart des cantons, les centres du sommeil se trouvent… dans le service de pneumologie!* Pendant la formation des futurs médecins en Suisse romande, dix heures seulement sont consacrées au sommeil: c’est dire si les médecins généralistes maîtrisent encore mal le domaine. Avec un taux de réussite de 80%, la thérapie cognitivo-comportementale pourrait pourtant être proposée à large échelle, d’autant qu’elle est remboursée par les caisses maladie.
Claire Houriet Rime
Lire le bonus web: traitement de l'insomnie en Suisse romande