Suite à la bévue du cabinet d’angiologie qui l’avait soigné, un lecteur d’Ecublens (VD) victime d’un accident s’est retrouvé avec, entre les mains, deux factures pour le même traitement. Dans sa main gauche, la version envoyée par erreur à sa caisse maladie: 272.68 fr. Dans sa main droite, celle envoyée ensuite à la SUVA: 229.55 fr. «Pourquoi diable aurais-je dû payer une quarantaine de francs de plus s’il s’était agi d’un cas de maladie, alors que la prestation est la même?», se demande-t-il, stupéfait.
Pour le comprendre, il faut plonger dans les tréfonds du système de facturation TarMed, instauré en 2004 pour unifier – en théorie! – les prix au niveau national. A chaque prestation médicale correspond un nombre de points tarifaires qui servent à rémunérer le praticien. S’y ajoutent ensuite des points pour la «prestation technique», qui est une indemnisation pour les infrastructures utilisées et le travail du personnel non médical. Exemple: une sonographie duplex des veines profondes de la jambe (examen par ondes acoustiques) vaut 49.44 points de prestation médicale et 34.18 points de prestation technique, pour un total de 83.62 points.
Un tarif faussement unifié
Comme ces points sont convertis en francs (1 point = 1 fr.), on pourrait penser que chaque geste coûte la même chose partout. Or, il n’en est rien! Car avant d’être convertis, les totaux sont pondérés par une «valeur du point» qui diffère en fonction du type d’établissement qui a administré le soin (hôpital ou cabinet de médecin), du canton, et même du type d’assurance qui rembourse la prestation! Ces pondérations permettent donc de moduler à volonté le coût final d’un geste médical… qui n’est, du coup, plus unifié du tout.
Ainsi, dans les cabinets médicaux du canton de Vaud, la valeur du point était fixée à 0.96 en 2017 pour les cas de maladie, contre 0.92 pour les cas d’accident. En reprenant l’exemple donné plus haut, la même sonographie coûte donc 80.27 fr. quand elle est facturée à la caisse maladie et 76.93 fr. quand elle est facturée à l’assurance accident. Pourquoi cette différence? «Ces valeurs du point sont le résultat de négociations entre les différentes parties, assureurs d’un côté et acteurs du monde médical de l’autre», nous a résumé l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Il en va de même pour les variations cantonales, elles aussi liées au résultat des négociations qui ont opposé les deux camps. En la matière, les différences sont considérables, puisque la valeur du point pour les cas de maladie s’étale de 0.82 à 0.97. Notre sonographie chez un médecin coûtait ainsi, en 2018, quelque 81 fr. dans le Jura, canton le plus cher, contre 68 fr. dans le canton de Lucerne! Or, de l’aveu même de l’OFSP, ces écarts ne sont pas le reflet de différences de coûts effectives. Elles sont avant tout dues à des raisons historiques, conclut un rapport du Contrôle fédéral des finances, qui n’est même pas parvenu à identifier les facteurs qui font que, par exemple, la valeur du point est beaucoup plus faible en Valais que dans le Jura!
Différences pas insolubles
Dans le cas de notre lecteur, une raison supplémentaire explique la grande différence de prix qu’il a observée: la présence, dans sa facture LAMal, d’une prestation qui n’a pas été reprise dans sa facture accident, pour une raison obscure – probablement une erreur, selon l’OFSP.
Ces différences cantonales ne sont pourtant pas insolubles. Pour preuve, elles n’existent pas dans l’assurance accident, pour une raison très simple: un article de loi, qui ne concerne que cette dernière, oblige à l’uniformité des valeurs de point dans tout le pays. Pour les cabinets médicaux, elle est actuellement fixée à 0.92.
Genevois, Vaudois et Jurassiens tondus
A ce petit jeu, les grands perdants sont les deux cantons romands les plus peuplés (Vaud et Genève), ainsi que le Jura. Ce sont les seuls chez qui les factures maladies sont plus coûteuses que les factures accident, toujours en parlant du même traitement. Les patients de ces trois cantons paient donc les pots cassés: à cause de la participation obligatoire aux coûts (franchise, quote-part), qui ne concerne que l’assurance maladie, ce sont les factures «gonflées» qu’ils paient en partie de leur poche. Leurs factures en cas d’accident, plus modiques, sont entièrement payées par l’assurance…
Vincent Cherpillod