Le portail Internet EU-Observer titrait récemment que le chorpyrifos était le pesticide le plus dangereux de tous les temps. Il est un des produits les plus utilisés en agriculture, depuis sa mise sur le marché dans les années 60. L’autorité européenne de la sécurité alimentaire, l’Efsa, est arrivée à la conclusion que ce produit nuit gravement à la santé et ne remplit pas les critères d’autorisation de mise sur le marché. L’Efsa cite des études qui démontrent que ce produit endommage le matériel génétique des enfants et nuit au développement normal de leur cerveau. L’Allemagne, l’Irlande et six autres pays de l’Union européenne ont interdit ce poison. Ce n’est pas le cas de la France, de l’Espagne, de l’Italie et des Pays-Bas.
Et en Suisse?
En Suisse, l’Office fédéral de l’agriculture a retiré en mai l’autorisation de commercialiser douze produits contenant du chlorpyrifos. Trois d’entre eux pourront cependant être utilisés par les agriculteurs jusqu’en mai 2021, par exemple pour traiter les pommes de terre et les haricots. Parmi ceux-ci on retrouve l’Ephosin, utilisé pour protéger les pommes de terre des vers fil de fer. Un autre de ces produits sera autorisé jusqu’en septembre 2020. Philippe Schenkel, de Greenpeace, exige de la Confédération qu’elle interdise sur-le-champ un produit qui peut endommager les cerveaux d’enfants et d’animaux. Les agriculteurs pourraient contenir la propagation du ver fil de fer en privilégiant la bonne rotation des cultures et en utilisant de manière judicieuse les bonnes parcelles.
L'agrochimie «surprise» malgré les avertissements
Depuis le mois d'août, les agriculteurs ne sont plus autorisés à utiliser les neuf autres produits à base de chlorpyrifos sur leurs champs. Reste à savoir combien de temps l'interdiction durera. Les fabricants et détaillants ont contesté cette décision devant le Tribunal administratif fédéral en déposant au total huit recours. La plupart acceptent l’interdiction en demandant des périodes transitoires plus longues pour écouler leurs stocks. Seuls Syngenta, Dow Agro et Sintagro veulent pouvoir continuer à vendre leurs produits et s’opposent à l’interdiction. Jürg Burkhard de Sintagro déclare qu'ils «n'ont jamais fait l'objet de réclamation depuis 20 à 30 ans». Syngenta se dit «surprise» par cette interdiction. Elle n'était pas justifiée par des «incidents» ou de «nouvelles découvertes».
Selon Philippe Schenkel de Greenpeace, l'Office fédéral de l'agriculture a informé l'industrie de ses plans d'interdiction en octobre 2018. «Ce n'est donc pas vraiment une surprise». Pour lui, c'est clair: «L'industrie veut faire de l'argent avec des pesticides très toxiques le plus longtemps possible. Elle tente également d'intimider l'administration fédérale.» Les entreprises ont obtenu gain de cause le 21 août dernier: une juge du Tribunal administratif fédéral a décidé qu'elles pouvaient continuer à vendre l’insecticide Pyrinex, utilisé pour être sprayé sur les baies, les raisins, les carottes, les asperges et le colza.
Les procédures de recours empêchent de retirer rapidement ces produits toxiques de notre alimentation. Lors d'un test mené par nos confrères du magazine Saldo en 2018, du chlorpyrifos a été trouvé dans des pommes suisses. L'année dernière, le laboratoire cantonal de Zurich a découvert des quantités «dangereuses pour la santé» de cet insecticide dans cinq aliments, comme les pêches d'Italie et les tomates cerises de Turquie. Qualiservice GmbH à Berne, un laboratoire qui analyse les aliments pour le compte des détaillants, a également détecté des résidus de chlorpyrifos dans 62 de 4429 échantillons passés au crible au cours des deux dernières années.
Au Danemark, du chlorpyriphos a été trouvé dans 9 échantillons d'urine sur 10 prélevés sur des enfants et leurs mères en 2016. Les essais ont été réalisés pour le compte du ministère danois de l'Environnement. En Belgique francophone, l'année dernière, l'institut de recherche gouvernemental a détecté la présence de chlorpyrifos dans les 258 échantillons d'urine d'enfants de 9 à 12 ans. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'analyses d'urine en Suisse.
Des grands distributeurs plutôt passifs
Les consommateurs ne peuvent pas s'attendre à ce que les grands distributeurs renoncent volontairement à commercialiser des produits contenant du chlorpyrifos. Coop, Denner, Globus, Lidl, Manor, Migros et Spar affirment tous respecter les dispositions légales - rien de plus. Seul Aldi interdit aux fournisseurs suisses d'utiliser le chlorpyrifos dans la production de fruits et légumes.
Eric Breitinger / chp
Produit contre les pucerons
Landi et Jumbo vendent un insecticide ménager contenant du chlorpyrifos. Le spray «Aérofleur» de Maag est destiné à lutter contre les pucerons et d’autres parasites des plantes d’intérieur. Selon un porte-parole de Landi, ce produit ne représente «aucun danger pour l’homme ou l’environnement» lorsqu’il est utilisé correctement. Jumbo estime également qu’il n’y a «aucun danger pour l’homme, les animaux ou l’environnement». Une «interdiction immédiate de vente et d’utilisation» n’est pas requise. Les ventes sont autorisées jusqu’à fin mai 2020.
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Agrumes souvent chargés en pesticides
Des résidus de chlorpyrifos ont été trouvés dans 39% de tous les pamplemousses analysés dans l'UE. Ce chiffre était de 36% pour les citrons et de 25% pour les mandarines.
Source: Pesticide Action Network Europe, juin 2019