Une révolution médicale», «technologie pleine de promesses», «arme fatale contre les maladies» qui va «changer l’histoire de la médecine»: c’est peu dire que l’ARN messager (ARNm) suscite l’engouement dans la presse et chez les spécialistes de la santé, en Suisse comme dans les pays voisins.
Les vaccins contre le Covid-19 de Moderna et Pfizer ont popularisé son fonctionnement: le plan de construction génétique d’une protéine qui se trouve sur l’enveloppe du coronavirus est envoyé aux cellules de l’organisme. Cet ARNm étranger permet au corps de produire la protéine, de reconnaître les coronavirus et de les combattre.
On trouve actuellement sur le marché suisse une demi-douzaine de traitements à base d’ARN (voir tableau) possédant un fonctionnement similaire ou proche. Tous ont été très récemment autorisés par l’autorité de surveillance des produits thérapeutiques Swissmedic – la plupart depuis 2021.
Malgré l’optimisme ambiant, la technologie de l’ARNm ne s’est pas faite que des amis, à l’image des centaines de professionnels de la santé qui durant la pandémie se sont regroupés pour réclamer la suspension des vaccins, invoquant un manque de recul médical. Tout comme les autres traitements à base d’ARN sur le marché, dits «interférents» ou «antisens», qui font grincer des dents bon nombre de médecins indépendants. Plusieurs pointent une trop grande incertitude, comme Etzel Gysling, éditeur de la revue alémanique Pharma-Kritik. «Souvent, il n’existe pas de preuves convaincantes sur l’efficacité réelle de ces traitements, souligne-t-il. Rien ne prouve que le Leqvio peut prévenir les infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux.» Une étude est prévue à ce sujet, mais ne sortira pas avant 2026. Autorisé depuis septembre dernier, l’anti-cholestérol de Novartis a pour mission d’empêcher la production dans l’organisme de cholestérol LDL, réputé mauvais.
Craintes de réactions imprévues
En Allemagne, le Leqvio est déconseillé par la revue médicale Arznei-Telegramm au vu de possibles réactions immunitaires indésirables: l’ARN étranger pourrait se fixer au mauvais endroit et, dans le pire des cas, inhiber la production d’une autre protéine importante. Même son de cloche du côté de l’institut allemand Paul Ehrlich, qui expose dans son Bulletin sur la sécurité des produits pharmaceutiques ses craintes pour la santé du patient au vu du manque de recul dans la pratique. Sans compter que de tels traitements ont des effets secondaires: le Leqvio peut provoquer des douleurs intenses à l’endroit de l’injection. Au cours des précédentes études, quatre patients n’ont plus voulu se le faire administrer pour cette raison.
Novartis n’entend pas ces critiques, assurant que ce traitement est bien toléré par l’organisme. Il est aussi déjà prouvé que le traitement arrive à faire baisser de moitié le taux de cholestérol LDL. Le groupe pharmaceutique bâlois ajoute que de nouvelles études sont en cours pour déterminer dans quelle mesure le Leqvio peut prévenir les infarctus du myocarde et les AVC.
Injections relativement risquées
Les autres injections autorisées à base d’ARN interférents ou antisens (voir encadré) sont également loin d’avoir fait leurs preuves. En France, le Bulletin de l’Académie nationale de médecine de février indique que les performances de ces traitements utilisés dans le cadre de maladies rares au pronostic très sombre – telles que l’amyloïdose à transthyrétine, la porphyrie hépatique aiguë ou l’amyotrophie spinale – ne sont qualifiées que de «progrès thérapeutiques modérés». Leur évaluation initiale a été pénalisée par un certain nombre de facteurs défavorables, relève-t-on. Comme les essais sur de petits effectifs, les modalités thérapeutiques à affiner ainsi que le manque de recul sur leurs effets à long terme.
Ce qui n’empêche pas la découverte d’importants effets secondaires... Le Tegsedi suédois est censé aider à lutter contre une maladie héréditaire rare qui voit une protéine s’agglutiner dans un organe, ce qui entraîne des troubles de la sensibilité ou paresthésies. Des études ont démontré qu’un quart des patients possédaient trop peu de plaquettes sanguines dans le sang après l’injection, et qu’un cinquième souffraient de problèmes au niveau des reins. Des risques à prendre d’autant plus en compte que ces nouveaux traitements sont tous hors de prix.
Centaines de milliers de francs
C’est le cas du Spinraza de Biogen, souvent critiqué pour son coût élevé. Il permet de lutter contre une grave maladie héréditaire chez les enfants, l’amyotrophie spinale, caractérisée par une dégénérescence progressive des neurones moteurs, ce qui entraîne une atrophie des muscles des membres et du tronc, et affecte la fonction respiratoire. L’injection d’un ARN antisens dans la moelle épinière doit augmenter la production d’une protéine nécessaire pour les cellules nerveuses. Mais le traitement coûte 270 000 francs par an.
Dommage, car le fabricant assure de l’efficacité du Spinraza, qui a fait l’objet de dix études incluant 11 000 patients. Un peu moins de cinq ans plus tard, tous les patients traités étaient encore en vie, et presque tous pouvaient même marcher, assure Biogen. De son côté, la société biopharmaceutique Alnylam, qui produit deux autres de ces traitements à base d’ARN pour lutter contre des maladies héréditaires, certifie que les injections sont sûres. L’étendue des études serait aussi plus que suffisante au vu du nombre restreint de personnes touchées.
Difficile de ne pas relativiser le véritable tournant annoncé en médecine autour de l’ARN, de croire aux «nouveaux champs thérapeutiques» que cette technologie est en train d’ouvrir dans différents domaines, pour reprendre les termes de la Revue médicale suisse. Au vu du manque de recul sur ces traitements, de leur cherté, de leurs effets secondaires ou indésirables et des risques pour l’organisme, la «révolution médicale» n’est en tout cas pas pour demain.
Katharina Baumann / Gilles D’Andrès