En Suisse, l’octroi des bourses d’études est, comme la recette de la fondue, sujet à variations. Chaque canton a ainsi élaboré son propre système afin de déterminer le montant alloué. Pour prendre la mesure du soutien apporté, nous avons soumis à chacun un même scénario fictif.
Les parents d’une famille modeste sont mariés. Leur fille aînée, Emilie, 22 ans, est inscrite en deuxième année à l’Université de Genève où elle loue une chambre (à Neuchâtel pour l’exemple genevois). Son frère, Max, fréquente encore le gymnase de sa commune (à Porrentruy pour l’exemple jurassien). Il habite chez ses parents, mais prend ses repas à l’extérieur. Seul le père travaille, pour un revenu annuel brut de 78 000 fr.
En 2010, nous avions déjà fait cet exercice, avec des résultats allant du simple au triple (lire TCF 6/2010). Or, malgré les efforts d’harmonisation entrepris depuis avec l’entrée en vigueur d’un accord intercantonal (lire encadré), les étudiants ne sont toujours pas, et de loin, logés à la même enseigne en Suisse romande (voir tableau)!
Emilie aura ainsi droit à un coup de pouce de 31754 fr. si elle habite à Bienne, contre 9350 fr. seulement à Sion, soutien assorti d’un prêt de 2200 fr. sur les bords du Rhône. Fribourg, Genève et le Jura octroient, quant à eux, le minimum de 16 000 fr. prévu par le concordat pour une bourse complète. Et, dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, l’étudiante touchera respectivement
14 850 fr. et 14 310 fr.
Pour expliquer de tels écarts, un coup d’œil dans les réponses envoyées s’impose.
Système du découvert (tous sauf VS)
Les cantons qui ont souscrit au concordat appliquent tous le système du découvert. Le mécanisme est simple: on soustrait du revenu les charges des parents pour obtenir un solde théorique. On élabore alors le budget, théorique lui aussi, d’Emilie. La différence entre le solde et ce budget correspond au montant de la bourse.
Dans les faits, les cantons accommodent la recette chacun à leur manière, si bien que les chiffres des différents postes varient beaucoup… mais ils ne tombent pas du ciel! Lançons-nous dans l’exercice pour Emilie.
Quant à son frère Max, le budget est évidemment revu à la baisse et la bourse aussi.
Revenu déterminant(Point 1 du tableau)
Berne et le Jura reprennent le salaire net après déduction des charges sociales.
Fribourg base son chiffre sur un revenu net intégrant diverses déductions (charges sociales, transports, etc.). Dans notre exemple, nous avons retenu les 65% du revenu brut.
Genève prend simplement le revenu brut pondéré et augmenté du quinzième de la fortune nette. Ce chiffre devrait être revu à la baisse d’ici à la rentrée de 2015.
Neuchâtel ajoute au revenu net les subsides de l’assurance maladie octroyés par le canton à la famille mais déduit les primes complètes dans les charges.
Vaud déduit au contraire 11 600 fr. pour les frais professionnels et les primes de l’assurance maladie.
Charges de famille (2)
Les cantons élaborent un budget théorique basé, pour les uns, sur les chiffres de l’Office des faillites, pour les autres sur l’aide sociale. En soustrayant ce chiffre aux recettes, on obtient un solde (3). Si ce dernier est positif, il sera encore pondéré pour tenir compte du deuxième enfant à charge des parents.
Budget théorique de l'étudiante (4)
Le calcul se base, là aussi, sur des données officielles.
Genève reprend le seuil nécessaire à l’entretien d’une personne de l’Office des faillites, Berne celui de l’aide sociale. On y ajoute le loyer, les primes de l’assurance maladie, les frais de transport, les frais de formation et un forfait pour l’achat de matériel, si bien que, dans ces deux cantons, le budget d’Emilie est confortable.
Ailleurs, on additionne également ces différents postes (loyer, etc.), mais sans seuil de base. Deux cantons partent du principe que l’étudiant contribue à son entretien par de petits jobs (5): Fribourg à raison de 3000 fr. par an et le Jura de 2000 fr. Ces montants sont déduits pour calculer le découvert (6).
Bourse allouée
L’accord intercantonal stipule qu’une bourse complète doit être, au moins, de 12 000 fr. pour les gymnasiens et de 16 000 fr. pour les universitaires (8).
Dans les cantons de Fribourg, de Genève et du Jura, ce minimum sert aussi de maximum, si bien que la bourse (7) ne couvre finalement qu’une partie du découvert!
Dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, les minimaux sont plus élevés, mais le barème est plus sévère.
Système du barème (VS)
Le canton du Valais n’a pas souscrit au concordat et a donc conservé son système de barème. Il applique deux grilles (une pour les bourses, l'autre pour le prêts) en fonction du revenu des parents pour obtenir leur contribution. Celle-ci est déduite de la bourse maximale pour déterminer le découvert (6). Les montants alloués varient ensuite en fonction des capacités budgétaires du canton. En 2013, les taux sont de 80% du découvert pour les bourses et de 18% pour les prêts.
Claire Houriet Rime
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Tiédeur fédérale
L’année 2014 sera chaude pour les universitaires. D’ici au mois de juillet prochain, le Parlement débattra en effet de l’initiative de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES) qui demande d’instaurer un barème fédéral. L’UNES part du principe qu’il faut 24 000 fr. par an à un étudiant pour «tourner» et qu’il appartient aux pouvoirs publics de veiller à ce qu’il en dispose.
A l’heure actuelle, on estime qu’une bonne moitié des coûts des études est financée par les parents, un gros tiers par les étudiants eux-mêmes et 6% seulement par les allocations de formation. Le montant consacré aux bourses tertiaires, qui est de quelque 200 millions aujourd’hui, devrait augmenter de 500 millions.
Cette initiative n’est pas du goût du Conseil fédéral. Berne a donc concocté un contre-projet indirect qui laisse carte blanche aux cantons. La loi unifierait les critères d'attribution et maintiendrait la clé de répartition des deniers fédéraux… sans toutefois les augmenter.
Comme le projet fédéral ne prévoit pas de montant minimal pour les bourses, il est cependant moins courageux que le concordat déjà signé par treize cantons, lequel fixe le seuil d’une allocation complète à 16 000 fr. Le Centre social protestant vaudois qualifie, par conséquent, le document de «frileux» face à la précarité financière de nombreux étudiants.