«Réactions allergiques allant jusqu’au choc anaphylactique», «nécrolyse épidermique toxique potentiellement mortelle», «psychoses jusqu’à un comportement autodestructeur, par exemple idées suicidaires et suicide ou tentative de suicide». Ces troubles, et leurs funestes conséquences, font froid dans le dos. Elles sont tirées d’une longue liste de plus de 70 (!) effets secondaires possibles, mentionnés dans la notice informative d’un antibiotique prescrit à un lecteur de Ma Santé.
Certes, leur survenue est qualifiée de «très rare», soit moins d’un cas sur 10 000 selon la définition officielle (lire encadré). Il n’empêche, la perspective d’avaler des pilules susceptibles de vous envoyer six pieds sous terre a de quoi angoisser les moins optimistes d’entre nous. Et inciter certains malades à laisser leur boîte de comprimés au fond d’un tiroir.
Faire le lien pour bien réagir
Thierry Buclin, médecin-chef du service de pharmacologie clinique du CHUV, rétorque que les patients ont un avantage clair à connaître les possibles effets indésirables. «Cela leur permet de faire le lien avec leur médication et peut leur éviter d’aggraver la situation en poursuivant un traitement dangereux pour eux», résume le spécialiste. Les réactions de type allergiques imposeront par exemple d’en avertir son médecin et d'interrompre le médicament responsable. D’autres manifestations en revanche, comme les lourdeurs d'estomac, sont bénignes et souvent passagères. Elles ne justifient pas d’interruption. «Lorsque le patient en a été informé au préalable, il ne va pas s’inquiéter inutilement et poursuivra son traitement», note notre interlocuteur.
Selon lui, la lecture de la notice «présente une balance favorable, même si on est aujourd’hui plutôt dans le trop d’informations avec des fabricants tenus de tout déclarer». Thierry Buclin relativise aussi le danger en rappelant que «la plupart des effets indésirables sont généralement bénins et les réactions graves sont tout de même rares».
Effet nocebo: modéré et inconstant
La lecture de la notice peut-elle tout de même favoriser la survenue de troubles lors du traitement, par effet «nocebo»? Ce dernier, moins souvent évoqué que l’effet placebo, est en fait son jumeau maléfique: l’individu ressent des désagréments parce qu’il a appris que ceux-ci sont susceptibles de survenir.
Jean-François Bergmann, ancien chef du service de médecine interne à l’hôpital Lariboisière de Paris, suit le dossier du nocebo depuis longtemps. Il souligne que «son existence est absolument admise», mais se veut rassurant: «Les facteurs déclenchants sont psychologiques, induits par l’inquiétude. Le nocebo n’a donc pas la puissance suffisante pour provoquer des pathologies graves. Il peut favoriser des diarrhées, de la fatigue, des insomnies, mais je n’ai jamais vu d’hépatites ou d’insuffisance rénale.» Un avis partagé par Olivier Desrichard, professeur de psychologie à l’Université de Genève et responsable du Groupe de recherche en psychologie de la santé. «Les effets placebo et nocebo existent bel et bien, mais ils ne peuvent pas produire de guérison miraculeuse ni faire tomber gravement malade.» Il y a d’ailleurs aussi de «fausses attributions»: «certaines personnes penseront par exemple que leurs maux de tête sont dus à leur traitement, alors que ces derniers, courants chez les humains, seraient survenus de toute façon sans la prise du médicament», relève le psychologue.
Un devoir d’information
La mention de possibles effets indésirables graves est susceptible de provoquer de l’angoisse et même des effets nocebo superflus. Mais elle correspond aussi à une demande et à un droit du public. «Nous sommes dans un monde où beaucoup d’usagers veulent tout savoir, relève Jean-François Bergmann. Ne pas le faire peut être source de conflit: certains patients se plaindront de ne pas avoir été informés des risques.» A juste titre, puisque «le devoir d’information fait partie intégrante des obligations professionnelles du médecin», comme le rappelle l’avocat lausannois Gilles-Antoine Hofstetter, spécialiste du droit des patients. Quant aux fabricants, ils sont, eux aussi, «tenus d’informer les patients des risques possibles d’un médicament», note Danièle Bersier, porte-parole de Swissmedic, l’autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques.
Discours adapté au patient
Aux yeux de Thierry Buclin, cette transparence a des avantages: «L’époque où le médecin paternaliste cachait couramment des informations au malade est révolue. Il est important que ce dernier soit un partenaire éclairé et écouté, car une personne convaincue par son traitement y adhère mieux. Nous partons du principe que les gens veulent être informés. La confiance est le maître-mot de la relation entre un patient et son médecin.»
Pour vaincre l’anxiété et la méfiance des uns ou des autres, «il faut connaître ses malades et avoir le temps de leur donner une information adaptée», relève Jean-François Bergmann. Des principes qui se heurtent parfois à une réalité sociétale et professionnelle complexe. «Le rapport humain a changé parce que le temps dont dispose le médecin a été réduit pour des raisons économiques», regrette Olivier Desrichard. Une réalité que connaît bien Jean-François Bergmann: «Un praticien qui ne peut consacrer que quinze minutes par malade n’a plus forcément la possibilité de bien connaître tous ses patients. Et s’adapter à chacun ne va pas toujours de soi: à l’hôpital Lariboisière, nous traitons des personnes de nombreuses nationalités, et 15% sont illettrées.»
Sébastien Sautebin
Effets secondaires: des directives strictes
Lorsqu’ils veulent commercialiser un nouveau médicament en Suisse, les fabricants doivent adresser une demande d’autorisation de mise sur le marché à Swissmedic. Ils soumettent dans le même temps un projet de texte d’information destiné aux patients, qui figurera sur la notice d’emballage. Il sera rédigé sous une forme précise, correspondant à des directives légales strictes (ordonnance OEméd) et à une classification internationale. «La liste des effets indésirables doit tenir compte de toutes les données disponibles: études cliniques et épidémiologiques, pharmacovigilance, etc.», précise Swissmedic.
Les effets potentiels sont mentionnés par ordre décroissant de fréquence. Cette dernière est précisée par les termes suivants: «très fréquents» (≥1/10), «fréquents» (de ≥ 1/100 à < 1/10), «occasionnels» (de ≥1 sur 1000 à < 1/100), «rares» (de ≥ 1/10 000 à <1/1000) et «très rares» (< 1/10 000).