Il est parfois vécu comme un passage obligé annuel: le frottis est, pour beaucoup de femmes, un incontournable du contrôle gynécologique. Et pourtant, cet examen – en outre inconfortable – pourrait être espacé de plusieurs années. Un nombre croissant de médecins en tient compte et adapte sa pratique.
Un rendez-vous de routine tous les 18 mois et un frottis tous les trois ans. C’est ce que propose Maria Rotzetter-Otero, gynécologue à Nyon (VD), à ses patientes ne présentant pas de pathologie ou de besoin particulier (voir encadré). Elle se calque ainsi sur les recommandations les plus à jour pour la profession.
La balle reste dans le camp des patientes. Car attendre trois ans avant une analyse peut s’avérer déstabilisant et certaines préfèrent maintenir leurs habitudes. Sur ce point, la praticienne note une différence générationnelle: «Les plus jeunes acceptent très bien. Pour les plus âgées, cela peut être difficile. Voilà quarante ans que certaines d’entre elles font une visite annuelle avec un frottis.» Peu nombreuses, ces dernières ont surtout besoin d’être rassurées. Et Maria Rotzetter-Otero insiste sur la communication: en cas de symptôme, de doute ou de question, le rendez-vous peut être avancé et des analyses complémentaires effectuées. L’important est d’avoir confiance en son médecin.
Détecter les tumeurs à un stade précoce
A l’inverse, plusieurs gynécologues contactés par Ma Santé continuent de recommander un frottis annuel afin de détecter les tumeurs à un stade précoce. Le gynécologue zurichois Karl-Heinz Bauer admet que le frottis est désagréable. Mais il relève qu’un cancer du col de l’utérus est «certainement plus désagréable». Le délai entre l’infection et l’apparition de la maladie varie entre trois mois et trois ans. C’est pourquoi il maintient la recommandation d’un contrôle annuel.
La Société suisse de gynécologie et d’obstétrique (SGGO), pour sa part, recommande un frottis tous les trois ans pour les femmes âgées de 21 à 70 ans.
Risque de surdiagnostic
Ces changements dans la pratique, qui bouleversent les habitudes, sont à mettre sur le compte de l’amélioration des connaissances médicales, explique Maria Rotzetter-Otero. Et la donne pourrait encore changer, pour le bien des femmes examinées. Car en pratiquant trop de frottis, le risque du surdiagnostic est démontré: «Les papillomavirus sont fréquents et 99% d’entre eux se soignent tout seuls», rappelle-t-elle. Une approche confirmée par la gynécologue Helene Huldi, installée à Soleure. Selon elle, pour les femmes qui ne présentent pas un risque accru de cancer, «il est probablement suffisant de faire le test tous les cinq ans».
A contrario, d'autres examens sont renforcés. Les mammographies, un temps pratiquées jusqu’à 70 ans, sont désormais conseillées jusqu’à 75 ans. Maria Rotzetter-Otero insiste sur la nécessaire formation continue des médecins. Ces mises à niveau des connaissances sont obligatoires pour la profession.
En plus du frottis, d'autres tests s'avèrent inutiles lors d’examens de routine et en l’absence de symptômes pathologiques. Selon un document de synthèse de la Société de gynécologie suisse, il s’agit des tests suivants:
- Inspection des organes reproducteurs:
De nombreux gynécologues procèdent à cette inspection lors de chaque contrôle. Ils examinent les patientes à l’aide d’un spéculum ou d’une loupe, pour détecter les inflammations, les verrues génitales, les tumeurs et autres maladies du vagin. Il y a quatre ans, le groupe de travail étasunien sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force), composé de médecins, a estimé qu’il n’existait aucune preuve des avantages de ces examens chez les femmes en bonne santé. Par conséquent, le groupe de travail ne recommande pas l’inspection. - Palpation de l’utérus et des ovaires:
De nombreuses femmes trouvent la palpation inconfortable et douloureuse. Les gynécologues l’utilisent pour détecter le cancer des ovaires. Plusieurs études constatent qu’il n’est pas possible de le détecter à un stade précoce de cette manière, voire que cet examen peut mener à détecter un cancer à tort sur des femmes en bonne santé. L’American College of Physicians recommande donc de ne pas utiliser la palpation. - Echographie:
Il s’agit de détecter un cancer des ovaires ou de l’utérus en insérant une sonde à ultrasons dans le vagin. Un examen inutile selon les experts: une étude portant sur 200 000 femmes anglaises et irlandaises a montré que les examens par ultrasons ne peuvent pas prévenir les décès dus au cancer de l’ovaire. L’échographie ne permet pas non plus de détecter précocement le cancer du col de l’utérus. La Société suisse de gynécologie recommande qu’elle ne soit pas pratiquée de manière systématique. - Palpation des seins:
Ingrid Mühlhauser, professeure en médecine préventive à l’université de Hambourg, affirme que rien ne prouve que ce dépistage du cancer du sein soit plus bénéfique que néfaste. Une étude canadienne a montré que les médecins passent à côté de nombreuses tumeurs au cours de ce processus. La palpation peut aussi conduire à des interventions inutiles selon le site Medscape.com. Thomas Eggimann, secrétaire général de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique, explique qu’il peut arriver que des gynécologues passent à côté de tumeurs lors d’un examen de la poitrine. Néanmoins, il leur arrive de tomber «de temps en temps» sur quelque chose que les femmes n’auraient pas remarqué elles-mêmes. - Tests sanguins et urinaires:
Les gynécologues utilisent le test sanguin pour détecter les carences en fer et le test urinaire pour identifier les infections de la vessie et le diabète. De nombreux médecins effectuent systématiquement ces tests sur des femmes en bonne santé. Toutefois, une étude de synthèse menée par le réseau de recherche Cochrane n’a trouvé aucune preuve des avantages des tests d’urine.
Les tests de routine, une bonne affaire
Pour la spécialiste Ingrid Mühlhauser, une chose est claire sur ces examens: les médecins devraient informer les patientes qu’il n’existe pas de preuve de leurs avantages. Les gynécologues devraient également leur dire qu’elles ont le droit de les refuser.
Reste la question financière. «Le contrôle annuel de routine lie les patientes au cabinet des gynécologues et leur garantit un revenu sûr», explique Lilian Saemann, praticienne à Soleure. «Les examens de femmes en bonne santé constituent une part importante des revenus des cabinets médicaux», confirme Ingrid Mühlhauser. Exemple avec les frottis: selon un nouveau rapport de l’Université de Freiburg (All.), les gynécologues suisses ont réalisé plus d’un demi-million de frottis en 2019, pour un coût d’environ 20 millions de francs par an.
Andreas Gossweiler / Laura Drompt
«C’est toujours bien de venir avec ses questions»
Chaque médecin a sa façon de faire. Chez la gynécologue Maria Rotzetter-Otero, l’examen s’adapte aux besoins des patientes. La détection d’infections sexuellement transmissibles (IST) s’adresse
notamment aux jeunes femmes, mais aussi à celles exposées au risque de par leurs pratiques sexuelles ou leur métier – personnel médical y compris.
Pour le dépistage du papillomavirus (le fameux frottis), la gynécologue recommande un contrôle
- tous les trois ans jusqu’à 70 ans pour les femmes ne présentant pas de lésion;
- tous les ans pour le suivi annuel lors d’antécédents de conisation ou de laser contre les lésions dues au papillomavirus;
- tous les 6 mois pour celles présentant des lésions, jusqu’à la disparition de celles-ci. En cas de persistance, une conisation sera envisagée;
- aucun contrôle particulier après 70 ans ou après une hystérectomie, sauf si l’opération a eu lieu en raison d’un cancer du col de l’utérus.
Que contrôle exactement la gynécologue au cours du rendez-vous annuel? Au-delà de la palpation des seins ou du frottis, elle se penche sur «toutes les questions liées aux relations sexuelles, à la contraception, à la stérilité ou à la grossesse, à la préménopause ou ménopause». Traitements hormonaux ou naturels, besoins particuliers, questions «bêtes» qui ne le sont jamais: c’est en parlant avec les patientes qu’elle peut les aiguiller au mieux.
Et pour des sujets parfois tabous, sexualité et incontinence en tête, note-t-elle, le mieux est d’alterner entre questions ouvertes ou fermées, pour les médecins. Quant aux patientes, «c’est toujours bien qu’elles viennent avec leurs questions». A préparer, donc, un peu avant de venir à son rendez-vous, histoire d’avoir les idées claires sur le moment.
«Je me sens presque obligée»
Devant un examen, il y a autant de ressentis que de femmes! Les témoignages récoltés par Ma Santé montrent des attitudes très variables devant la fréquence et le type de tests.
Certaines se sentent rassurées de voir leur médecin une fois par an. Ruth Eggli (73 ans) voit cela comme l’occasion d’un «bon check-up pour soigner ce qui n’irait pas». Son médecin opère un contrôle des seins et un frottis annuel. Ou Haline Hermann (33 ans), qui ajoute un dépistage du VIH et d’autres IST tous les deux ans.
D’autres font ces contrôles, non sans appréhension. Comme Viviane Wälchli (58 ans): «Je me sens presque obligée de le faire. Je me demande si le test de dépistage du cancer et l’examen des seins sont vraiment nécessaires tous les deux ans. De plus, cela me met mal à l’aise quand le gynécologue m’examine avec des pinces métalliques froides.» Ou Piera Honegger (18 ans), qui n’a été chez le gynécologue que pour la prescription de la pilule et a eu un «sentiment bizarre» lorsqu’il lui a palpé l’utérus.
Et puis il y a celles qui vont à leur rythme. Comme Renata Meister: «Je suis d’avis que la visite annuelle chez le gynécologue est inutile. Les examens rapportent beaucoup d’argent aux médecins. J’ai 69 ans, je n’ai pas eu de bilan depuis quinze ans et je suis en excellente santé.» Simone Gloor (54 ans) connaît pour sa part «de plus en plus de femmes qui résistent à la pression des contrôles réguliers». «Plus jeune, je refusais d’aller chez le gynécologue pour mon contrôle annuel de routine. Je ne voyais pas en quoi je courais un risque plus élevé que les jeunes hommes.»