«Ma caisse maladie a refusé la prolongation de mon existence.» Ainsi résumait une Vaudoise, en juin dernier, dans le quotidien
24 heures, la décision que venait de lui transmettre son assureur. Non, il ne prendrait pas en charge le médicament (lire encadré ci-dessous) qui lui permettrait de lutter contre un cancer du poumon ayant résisté à tous les autres traitements. Parce qu’il est très cher et qu’il ne figure pas dans la liste officielle édictée par la Confédération. Et ce, malgré le rapport étayé de son oncologue qui estime que, sans cet essai, la vie de sa patiente est en danger à court terme.
Pression médiatique oblige, l’histoire a fini par trouver une issue heureuse mais tardive, la caisse étant revenue sur sa décision. Mais, pour d’autres malades, la seule voie de recours reste la justice, pour autant qu’ils en aient le temps (lire encadré page 47).
Si choquant que cela puisse paraître, ce genre de situation n’est ni rare ni illégal. En effet, l’assurance de base obligatoire ne prend en charge que les médicaments autorisés par Swissmedic et figurant dans la liste des spécialités (LS). Il n’y a cependant pas de règles sans exception, surtout dans le domaine de la recherche médicale où tout va très vite. Il est donc fréquent que des patients aient besoin de produits hors LS ou qui y figurent seulement pour certaines maladies (on parle alors d’utilisation «hors étiquette»). Dans ce cas, le médecin traitant adresse une demande de prise en charge auprès de la caisse, qui prend sa décision après avoir consulté son médecin-conseil.
Ce que dit la loi
Depuis 2011, l’article 71 de l’ordonnance sur l’assurance maladie (OAMal) précise les critères d’évaluation: le médicament doit permettre «d’escompter un bénéfice élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle pour l’assuré ou de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques et que, faute d’alternative thérapeutique, il n’existe pas d’autre traitement efficace autorisé». Mais aussi que «le rapport entre la somme à rembourser et le bénéfice thérapeutique du médicament doit être adéquat». Et, enfin, que «l’assureur fixe le montant du remboursement».
On voit immédiatement que cette ligne générale laisse une grande marge de manœuvre aux caisses maladie, avec les inévitables risques d’inégalité de traitement. C’est d’ailleurs ce qui a poussé la conseillère nationale Ruth Humbel (PDC/AG) à déposer, il y a deux ans, une interpellation. Elle invoque le cas argovien d’un cancéreux qui devait être soigné avec deux médicaments figurant dans la LS, mais pas dans le cadre d’un traitement combiné. Sa caisse maladie a donc décidé, après un long échange de courriers, de ne prendre que la moitié des frais à sa charge. En revanche, une autre compagnie, appelée à se prononcer sur le remboursement de la même combinaison, dans une situation semblable, a décidé, en deux jours, d’assumer la totalité des coûts!
Un rapport, trois décisions
«C’est un des gros problèmes de cet article 71», commente le socialiste Jean-François Steiert. Il a, lui aussi, déposé une motion sur la question, adoptée à l’unanimité par la Commission de la santé publique et sur laquelle le Conseil fédéral s’est prononcé en juillet dernier (lire encadré ci-contre). «Il faut absolument régler le problème de l’harmonisation. Des médecins m’ont confié avoir eu trois cas similaires, avec trois rapports identiques aussi, mais trois décisions différentes…»
Pour le conseiller national fribourgeois, il faut accélérer le processus d’enregistrement des médicaments pour réduire le nombre de cas exceptionnels – entre 6000 et 8000 par an selon l’OFSP, avec un taux d’acceptation de 73% à 92% – laissé au seul jugement des assureurs. Mais il faut aussi mettre en place un processus qui garantisse une décision rapide au meilleur prix.
Le problème du prix
Car le coût est, bien sûr, le nerf de la guerre. Les médicaments hors LS sont récents et encore très chers. Ceux utilisés dans le cadre d’une immunothérapie (lire encadré page 45) sont, en plus, souvent très ciblés, et donc destinés à un groupe de malades restreints. Ils reviennent facilement entre 40 000 et 100 000 fr. par an et par personne, généralement sans garantie de succès à moyen et à long terme.
Ce constat amène une question lancinante: le prolongement de la vie a-t-il un prix à ne pas dépasser? Avec ce rappel mathématique qui complique encore la donne: si un traitement augmente, en moyenne, la durée de vie d’un an pour un coût de
100 000 fr., cela peut signifier que 90% des malades ont une espérance de vie d’un mois seulement, contre 10% avec largement plus de huit ans. Et comment savoir qui sera dans le premier ou dans le deuxième groupe?
Christian Chevrolet
Progrès therapeutiques
Les espoirs de l’immunothérapie
Le médicament refusé à l’assurée vaudoise citée au début de l’article – le Keytruda – est un produit développé par le géant pharmaceutique Merck & Co, utilisé dans le cadre d’une immunothérapie. Le traitement consiste à stimuler le système immunitaire des patients pour tuer les cellules cancéreuses. Il donne des résultats spectaculaires pour les mélanomes ainsi que pour les cancers du poumon et du rein.
En effet, notre système immunitaire est composé de «soldats», les lymphocytes T, censés attaquer et détruire tous les intrus dangereux pour l’organisme. Si les cellules cancéreuses y échappent, c’est parce qu’elles ont développé des molécules – appelées CTLA-4 et PD-1 – qui trompent ces «soldats», leur faisant croire qu’elles sont inoffensives. Des produits comme le Keytruda annulent cet effet de protection et permet aux lymphocytes T de reconnaître et de tuer les cellules tumorales.
Si la liste des cancers sensibles à cette méthode s’allonge de jour en jour, certains, comme ceux de la prostate et du sein, font de la résistance. Le taux de réussite est réjouissant pour les patients chez qui ça «marche» durablement. Mais il stagne, en moyenne à 20%, avec des exceptions comme le Keytruda qui semble faire bien mieux.
Le salut pourrait venir des combinaisons de molécules, rendant d’autant plus aigu le problème du prix. Mais les résultats sont là: l’étude qui a poussé les autorités américaines à autoriser l’association de l’ipilimumab, la première molécule d’immunothérapie agréée contre le mélanome en 2011, avec le plus récent nivolumab (2014), démontre que le taux de réaction pour les malades atteints d’un mélanome a presque triplé, frôlant les 60%. Avec, toutefois, des effets secondaires plus sévères, même s’ils restent très inférieurs à ceux d’une chimiothérapie. Le Comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne a d’ailleurs émis un avis positif pour autoriser cette association, vraisemblablement l’an prochain.
Eclairage
Des recours peu convaincants
Lorsqu’un médecin propose une immunothérapie à un patient, c’est, généralement, que les autres traitements n’ont pas donné les résultats escomptés et que l’évolution du cancer met sa vie en danger. Autant dire que le temps compte et que la durée d’un recours contre le refus d’un assureur doit être écourtée au maximum pour que cela serve à quelque chose. Or, c’est loin d’être le cas, aujourd’hui.
Dans sa réponse à l’interpellation Humbel, le Conseil fédéral le rappelait: l’Office fédéral de la santé publique est chargé de la surveillance des caisses maladie, mais n’a pas la compétence de juger l’effet thérapeutique d’un médicament au cas par cas. Il suggère dès lors que le patient s’adresse à l’ombudsman de l’assurance maladie.
Procédure trop longue
Or, presque personne ne le fait, non sans raison: «Nous sommes des juristes, pas des spécialistes en médecine, explique le médiateur suppléant Thomas Schmutz. Nous ne pouvons donc qu’informer les assurés des démarches à faire pour tenter d’obtenir gain de cause.» A savoir: demander au médecin traitant d’envoyer un rapport documenté à l’assureur si cela n’a pas déjà été fait, puis exiger une décision formelle contre laquelle il sera possible de faire recours. La caisse devra, alors, émettre une nouvelle décision qui, si elle reste négative, pourra être attaquée en justice.
Mais rien que pour en arriver là, il faut actuellement compter trois à quatre mois. Le Conseil fédéral vient, toutefois, de proposer un projet obligeant la caisse à rendre sa décision dans les 15 jours. Tant mieux, car il faut ajouter un délai au moins aussi long pour que le premier tribunal se prononce en cas de besoin.
«Plusieurs médecins m’ont expliqué, commente Jean-François Steiert, que, pour contourner le problème, ils prenaient contact avec le fabricant du médicament et tentaient de faire passer le traitement comme un essai thérapeutique, ce qui induit sa gratuité.» Mais, avec le nombre croissant de demandes, cette alternative risque d’être de plus en plus refusée.
Complémentaires guère utiles
Hélas, il n’y a pas grand-chose à attendre non plus des assurances complémentaires qui prétendent couvrir les médicaments hors liste. Exemple: l’assurance myFlex de la CSS annonce leur prise en charge à 90% (sans limites), pour autant qu’ils aient été autorisés et enregistrés par Swissmedic. Mais surtout: seulement si le médicament est utilisé pour les traitements prévus dans l’information de Swissmedic. Par exemple, le mélanome chez les adultes pour le Keytruda. Hors contexte, il ne peut y avoir de prise en charge automatique, et il va donc falloir passer, là aussi, par une négociation préalable.