Un couple de jeunes parents nous a fait part de son indignation après avoir reçu une publicité pour leur enfant – encore bébé – émanant d’Assura, la caisse maladie de ce dernier. «Votre enfant célèbre prochainement son anniversaire. A cette occasion, pourquoi ne pas lui offrir un capital pour ses 20 ans.»
Et le courrier de proposer de verser une prime de 75 fr. par mois, pour que l’enfant bénéficie d’un montant de 15 000 à 20 000 fr. à l’âge adulte. En clair, il s’agit d’une proposition d’assurance vie.
Entorse à la sphère privée
«Notre enfant ne dispose pas d’assurance complémentaire auprès d’Assura. C’est donc uniquement par son statut d’assurance sociale que la caisse a pu profiter des données personnelles de notre fils pour faire la publicité de son assurance vie», s’étonnent les parents.
Un étonnement légitime, sachant que les problèmes liés à la sphère privée sont un sujet hautement sensible dans l’assurance maladie. Eliane Schmid, porte-parole du préposé fédéral à la protection des données (PFPDT), est on ne peut plus claire à ce sujet: «La transmission de données personnelles, y compris l’âge, enfreint la loi sur la protection des données. Et peu importe si l’assurance vie qui a reçu ces données est une société tierce ou si elle fait partie du même groupe.»
Assura renverse le problème
Nous avons demandé des explications à Jean-Bernard Pillonel, directeur général adjoint d’Assura, qui réfute l’affirmation selon laquelle la caisse maladie aurait transmis les données à la partie assurances privées du groupe. A l’inverse, il explique que «c’est l’assu rance privée Assura SA qui mandate la caisse maladie Assura pour adresser diverses promotions».
Par ce mécanisme, l’assurance vie ne reçoit certes pas les coordonnées personnelles des assurés de la caisse maladie, mais elle se sert toutefois des fichiers de cette dernière pour faire circuler ses publicités.
«Pour le bien de l’assuré»
Et le directeur d’ajouter que, «sans chercher à occulter l’intention de développer nos produits par ce type de démarches, nous voulons sensibiliser les parents sur la nécessité de se prémunir des lourdes conséquences financières en cas de soins non couverts par l’assurance de base». Une volonté qui pourrait se comprendre dans le cas d’une proposition d’assurance maladie complémentaire, sachant que, une fois malade, l’enfant ne sera probablement jamais admis par les assureurs. Mais, dans le cas présent, il s’agit d’une assurance vie qui ne garantit en rien de meilleurs soins à l’enfant.
Autre argument de Jean-Bernard Pillonel, «il est notoirement admis que les assureurs maladie n’adressent pas de bulletins de versement séparés ou des polices distinctes pour l’assurance obligatoire et les complémentaires, par exemple. Tout comme il est accepté que les assurés reçoivent les mêmes prospectus, indifféremment du statut de leur assurance.»
Procédé contesté
Cette démonstration juridique d’Assura surprend Agnès Hertig Pea, spécialiste à l’Institut de droit de la santé de l’Université de Neuchâtel: «Les assurances de base doivent être considérées comme des organes fédéraux et non comme des entreprises privées; elles ne sont donc pas soumises aux mêmes lois. Or, aucune base légale n’autorise les premières à faire de la publicité pour le compte des secondes. Quant au fait qu’il est couramment admis que les caisses envoient des mêmes bulletins ou polices d’assurance, c’est faux. La communication des données est en l’occurrence l’un des gros problèmes des assurances de base. Ce n’est pas parce que la pratique est devenue courante qu’elle est légale pour autant!»
On le voit ici, tant que les assurances de base continueront à pratiquer en parallèle des assurances privées, le risque d’abus dans l’utilisation des fichiers est bien réel. Il demeure toutefois possible d’écrire à la caisse afin de demander de ne plus recevoir de courriers promotionnels, ce qu’Assura nous indique respecter au pied de la lettre.
Yves-Alain Cornu