Quand on reçoit une balle de volley en pleine figure, on voit d’abord les étoiles, puis plus grand-chose si l’on portait des lunettes que le choc a brisées. Cette mésaventure, Vanessa Kramer, 16 ans et demi, l’a vécue pendant un cours de sport au Gymnase de Chamblandes, à Pully (VD). A l’occasion d’une partie de jeu du château, une variante de la balle à deux camps, un camarade lui a involontairement tiré la balle sur le visage, cassant la monture de ses lunettes. Un incident somme toute bénin, si ce n’est qu’une paire de lunettes n’est pas gratuite et qu’il faut la remplacer.
Sollicité pour régler le cas, le doyen de l’établissement a rappelé que les élèves fréquentent le gymnase sous le couvert de leur propre assurance. Dès lors, selon lui, il incombait à l’assurance responsabilité civile (RC) privée de l’auteur du tir de prendre en charge le sinistre.
Risque assuré
A la base, cet avis peut paraître pertinent puisque le rôle des assurances RC privées est bel et bien de rembourser les dommages que leurs assurés causent à des tiers. Mais il y a, sauf dispositions contractuelles contraires, une condition pour que la RC intervienne: son assuré doit être juridiquement responsable du dommage provoqué. Or, si étrange que cela puisse paraître de prime abord, ce n’est pas le cas ici.
Generali la RC concernée a ainsi refusé toute indemnisation. «L’accident étant survenu lors d’une activité sportive, il s’agit d’une situation connue en droit sous la dénomination «risque accepté», explique l’assureur. En d’autres termes, en participant à un jeu ou à une activité sportive, les protagonistes acceptent les risques inhérents à cette pratique.
Cette argumentation est jugée pertinente par Olivier Subilia, médiateur de l'assurance privée, et Alexandre Guyaz, docteur en droit spécialiste en responsabilité civile et droit des assurances. Dès lors, pour autant qu’il n’a pas violé manifestement les règles du jeu, l’auteur ne peut être tenu pour responsable.Dans le cas présent, le jeu du château consiste à toucher les joueurs de l’équipe adverse avec un ballon. Le lanceur n’a donc pas enfreint les règles en atteignant la tête d’une camarade lors d’un tir. Il en aurait été autrement s’il l’avait par exemple fait tomber au sol avec un croche-pied ou s’il l’avait frappée.
La décision de Generali de ne pas entrer en matière n’a rien d’exceptionnel. La majorité des assureurs refusent de rembourser les bris de lunettes survenus à l’occasion de pratiques sportives*. Ceux qui acceptent le font à bien plaire.
Sécurité respectée
On peut toutefois se demander si le professeur de gym n’aurait pas dû demander aux élèves concernés d’enlever leurs lunettes. Dans le canton de Vaud, le document de référence en la matière est le Guide des mesures de sécurité pour les cours de sport à l’école, édité par le Service de l’éducation physique et du sport (SEPS). Or, celui-ci ne fournit aucune directive concernant le port des lunettes.
Dans l’esprit du service cantonal, le statu quo est la «moins pire» des solutions. D’une part, parce qu’il y a peu d’accidents. D’autre part, parce que, si on exigeait des élèves de jouer sans leurs verres, ils n’y verraient pas très clair, ce qui augmenterait le risque de collision. Interdire aux porteurs de lunettes de participer à certains sports pourrait, par ailleurs, être ressenti comme discriminatoire. Au vu de l’absence de directives, le professeur de gym n’a commis aucune faute.
Dans la situation actuelle, les amateurs de sports portant des lunettes sont donc prétérités, tout en ayant le choix entre plusieurs options: assumer le risque de bris, acheter des lunettes spéciales résistant aux chocs, porter des lentilles de contact, pour autant qu’ils les supportent, ou, tout simplement, s’abstenir de jouer, lorsque c’est possible…
Sébastien Sautebin
BONUSWEB: Les RC face aux bris de lunettes