«Je vis encore au ralenti.» Six ans après sa première opération, Agnès Bourquard souffre toujours de complications consécutives à l’implant d’une prothèse de hanche au couple de frottement métal sur métal. Un produit qui semblait avoir tout pour plaire. Réputé plus résistant à long terme que les autres, il offre également une grande liberté de mouvement grâce à son diamètre élevé (plus de 36 mm), tout en diminuant le risque de luxation. Voilà pour la théorie.
Dans la pratique toutefois, le tableau n’est pas toujours aussi idyllique. Les prothèses de hanche métal contre métal peuvent en effet libérer de fines particules métalliques susceptibles d’endommager l’os et les tissus mous environnants (muscles et nerfs). Elles libèrent, en effet, des ions de chrome et de cobalt dans le sang, avec un risque d’intoxication à la clé. Ces complications possibles ont été révélées au grand jour en 2010 avec le retrait du marché d’un modèle de prothèse de hanche métal contre métal de la société DePuy, filiale de Johnson & Johnson. Mais d’autres fabricants en ont également commercialisés avant de les retirer du marché sans autre annonce.
300 fois la norme de cobalt dans le sang
C’est précisément ce qui est arrivé à Agnès Bourquard. Opérée de la hanche droite en 2007, notre lectrice de 65 ans a immédiatement ressenti des douleurs. Après deux ans de souffrance, une expertise est finalement ordonnée: elle révèle une grande faiblesse musculaire. Des séances de physio lui sont alors prescrites pour revitaliser les muscles. Rien n’y fait, les douleurs deviennent insupportables.
En mars 2013, après de nombreux examens médicaux, le verdict tombe: la prothèse a endommagé les parties molles. Les mus cles sont tellement abîmés qu’ils se sont détachés de l’os. Une prise de sang révèle également des taux de cobalt et de chrome 300 fois et 100 fois plus élevés que les normes usuelles relevées. Une seule solution, il faut réopérer. Une première fois, puis une deuxième. Aujourd’hui, Agnès Bourquard va un peu mieux. Mais elle est amère. «Pourquoi les patients ne sont-ils pas mieux défendus. Et comment peut-on les laisser avec des matières dangereuses dans le corps. On rappelle bien les voitures défectueuses.»
Combien de patients se trouvent dans le même cas? Et quels sont les modèles les plus problématiques? Impossible de le savoir, indique Swissmedic, l’Institut suisse des produits thérapeutiques. En effet, l’enregistrement des implants de la hanche dans une base de données, appelée Siris, n’est obligatoire que depuis septembre 2012. En outre, les fabricants n’ont pas l’obligation de déclarer les prothèses qu’ils commercialisent. Tout au plus doivent-ils faire évaluer leur conformité auprès d’un organisme certifié.
Contrôle annuel recommandé
Les patients doivent donc s’en remettre à leur chirurgien. La Société suisse d’orthopédie et de traumatologie a également édicté des recommandations conseillant un contrôle annuel des patients et une prise de sang pour mesurer la concentration de ions métalliques. En cas d’anomalie, un ultrason ou une IRM permettront de détecter d’éventuelles lésions ou des tumeurs. Si elles se confirment ou si le taux de cobalt dépasse les 20 mg/l, le remplacement de la prothèse devra être envisagé.
Si l’implant est défectueux, le patient pourra obtenir une indemnisation de la part du fabricant, pour autant que certaines conditions soient réunies (lire encadré).
Chantal Guyon
CONSEILS PRATIQUES
Comment se défendre?
Selon un arrêt du Tribunal fédéral, une prothèse médicale est un produit. Par conséquent, la responsabilité du fabricant peut-être engagée en cas de défaut, et celui-ci peut être tenu d’indemniser le patient. Attention toutefois: le patient devra établir que la prothèse défectueuse lui a causé des lésions corporelles, mais il devra aussi prouver le dommage subi ou le tort moral. Et encore faudra-t-il que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit ait permis de déceler l’existence du défaut.
Le patient a trois ans pour faire valoir ses prétentions en dommages-intérêts à compter du moment où il a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du fabricant. Dans tous les cas, le fabricant ne pourra plus être tenu pour responsable des dégâts causés par la prothèse défectueuse dix ans après sa date de mise en circulation.
La procédure étant complexe, mieux vaut ne pas s’y engager seul. On peut s’adresser à sa protection juridique ou à la Fédération suisse des patients et à l’Organisation suisse des patients pour se faire assister dans ses démarches.