La Suisse, bien que dotée d’un système de santé robuste et réputé, fait face à une pénurie croissante de médecins généralistes. Ce paradoxe se manifeste malgré la présence de 41 100 médecins dans le pays. A l’horizon, les perspectives se ternissent encore davantage, rendant impérative la recherche de solutions innovantes.
Un contexte alarmant
Il est déjà difficile de trouver un nouveau médecin dans de nombreuses régions de Suisse. Dans les villages, où l’on sait souvent qui va chez quel médecin, il arrive que des patients sans suivi médical lisent les avis mortuaires avant d’appeler le généraliste pour savoir s’ils pourraient obtenir «la place qui s’est libérée». Et la situation s’aggravera: plus d’un généraliste sur trois a dépassé les 60 ans, annonçant une vague imminente de départs à la retraite.
Former plus de médecins
La solution la plus évidente serait d’augmenter le nombre de médecins formés en Suisse. Cependant, cette approche se heurte à une contrainte de temps significative: il faut en moyenne dix ans pour former un médecin généraliste.
En outre, les capacités des facultés de médecine sont limitées et nécessitent des investissements considérables pour être augmentées. Ainsi, bien que nécessaire, cette solution ne pourra résoudre la crise que sur le long terme.
Recruter des médecins à l’étranger
Actuellement, plus de 40% des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l’étranger. Si cette pratique pallie partiellement la pénurie, elle soulève des questions éthiques. En effet, attirer des médecins d’autres pays peut être perçu comme une forme de «pillage» de leurs ressources humaines médicales.
Recourir à d’autres professionnels de la santé
Une des solutions prometteuses réside dans l’élargissement des compétences d’autres professionnels de santé. Les pharmaciens, par exemple, pourraient assumer certaines responsabilités actuellement dévolues aux généralistes. Mais attention à la qualité des soins, ils ne peuvent pas faire de miracles en n’ayant que quelques minutes par client.
Une voie probablement plus intéressante sera le recours à des infirmiers et des infirmières de pratique avancée, une option qui existe déjà dans d’autres pays. A travers des formations complémentaires, ces professionnels de la santé pourront avantageusement remplacer les médecins de premier recours, par exemple pour la gestion des maladies chroniques ou la délivrance de conseils de santé.
Utiliser l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) émerge comme un outil potentiel pour atténuer la pénurie de médecins. Des chatbots médicaux et des plateformes d’IA peuvent offrir des consultations de première ligne, participer à l’évaluation des symptômes et orienter les patients vers les soins appropriés.
Bien que l’IA n’ait pas vocation à remplacer l’expertise humaine, elle peut jouer un rôle complémentaire en filtrant les cas simples et en permettant aux médecins de se concentrer sur les situations complexes.
Promouvoir les mesures préventives
Notre système de santé n’a pas comme objectif de prévenir les maladies mais uniquement de les traiter. Plus de la moitié de nos primes maladie couvrent les coûts liés à nos styles de vie: alimentation, activité physique, sommeil, alcool et tabac.
Encourager des modes de vie sains peut diminuer l’incidence de nombreuses maladies chroniques. La réduction de la demande de consultations médicales par la promotion de la santé est une solution durable. Mais il faut changer de paradigme, passer d’une médecine curative à une médecine préventive.
Pas plus, mais moins
Etre soigné par un infirmier ou par une intelligence artificielle à la place du médecin? Cela fera certainement partie des solutions à l’avenir. Cependant, pour ne pas faire imploser notre système de santé, augmenter l’offre de soins ne peut pas être l’unique solution.
Il faudra aussi réfléchir à diminuer la charge des généralistes. La mise en place d’une réelle politique de promotion de la santé semble être une solution à développer de toute urgence.
Dr Jean Gabriel Jeannot, médecin, spécialiste en médecine interne