Si vous avez de la peine à vous endormir, si vous retournez votre oreiller dans tous les sens à chaque réveil nocturne en pensant au lendemain et ce, plus de trois fois par semaine et pendant plus de trois mois, avec en prime le sentiment de ne pas être en forme le lendemain, pas de doute: vous souffrez d’insomnie chronique.
Cette maladie sournoise touche entre 10% et 15% de la population. «Les sens de ces patients sont constamment en hyperéveil», explique Geoffroy Solelhac, chef de clinique au centre de recherche et d’investigation sur le sommeil au CHUV. Le corps n’est pas en reste: le pouls, la tension et la température ne baissent pas. Pour guérir, il faut réapprendre à faire la différence entre le jour et la nuit. Le soir, le cerveau doit lâcher prise. Le système nerveux autonome pourra alors passer en mode «repos».
Guérir de l’insomnie, c’est exigeant, mais c’est possible et ce, pour longtemps: tour d’horizon des petits et grands moyens pour retrouver la compétence de s’endormir… et de se rendormir sereinement.
Une thérapie efficace
Depuis une vingtaine d’années, la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I) est le traitement de référence. Elle permet de retrouver le sommeil en quelques semaines. «Cet apprentissage est exigeant et nécessite un suivi professionnel, mais il porte ses fruits sur le long terme», explique Geoffroy Solelhac. Il repose sur plusieurs éléments (lire «La nuit blanche n’est pas une fatalité»)
La démarche s’adresse à tout le monde. Demander de l’aide, ça ne veut pas dire qu’on a des troubles psychiques, mais qu’on a perdu le mode d’emploi des nuits sereines et qu’il faut corriger ce mauvais pli (lire encadré ci-dessous).
Médicaments: une béquille provisoire
Il est normal de perdre le sommeil après un choc émotionnel tel que la perte d’un être cher, d’un emploi, après la naissance d’un enfant, un divorce, ou lors d’une dépression. Pour surmonter l’épreuve et affronter le quotidien, le médecin peut prescrire un somnifère. La plupart de ces médicaments modifient toutefois la structure du sommeil qui sera de qualité moindre et on ne devrait pas les prendre au-delà de quatre semaines. Ils ne sont pas indiqués lors d’une insomnie chronique parce qu’ils n’apprennent ni à retrouver l’alternance entre somnolence et hyperéveil, ni à gérer les idées noires. Quand on suspend le traitement, tout est à recommencer, au contraire de la TCC qui agit à long terme. La prescription d’antidépresseurs peut aider à dormir, mais ce n’est pas leur première indication et ils obéissent à d’autres règles.
Inutiles, les trackers de sommeil
Il est tentant de s’équiper d’une montre qui mesure le temps passé au lit, la qualité de son sommeil et sa fréquence cardiaque quand on souffre d’insomnie. Ce n’est pourtant pas une solution. D’abord parce que ces trackers sont loin d’être tous fiables, et ensuite, parce qu’au lieu de calmer le jeu, ils risquent de susciter de nouvelles inquiétudes. Le but de la thérapie est, au contraire, de cesser de se focaliser sur le sommeil. Les experts recommandent de se fier à sa perception, l’important étant de se sentir bien. Si un suivi scientifique est nécessaire, il faut le confier aux professionnels.
Pas de smartphone au lit
Répondre à un message, scroller sur les réseaux sociaux, relever ses mails professionnels une dernière fois avant d’aller se coucher: autant d’activités qui empêchent le cerveau de basculer en mode sommeil et le maintiennent en activité sans répit. Il faut impérativement se déconnecter entre une heure et deux heures avant le coucher.
Autre problème: les écrans diffusent une lumière bleue qui freine la production de mélatonine, l’hormone de la nuit. Or, pour guérir de l’insomnie, il faut au contraire réapprendre à faire la différence entre le jour et la nuit. On peut activer le mode d’éclairage nocturne sur l’appareil pour diminuer ce rayonnement, sans garantie que cela soit vraiment efficace. L’idéal est d’éteindre son portable pour ne pas être soi-même constamment en mode veille: rien de pire que le bip d’un message au moment où l’on s’endort!
Pour les adolescents qui doivent terminer leurs devoirs sur l’ordinateur en soirée, il est conseillé d’acheter des lunettes orangées qui annulent la lumière bleue. A ne pas confondre avec les filtres invisibles souvent proposés pour les verres optiques: pendant la journée, ce rayonnement n’est pas néfaste, au contraire, puisqu’il donne au corps un signal d’éveil (lire «Des filtres chers et inutiles»).
L’alcool, mauvais ami
Dans les séries télévisées, les héros dégustent souvent un bon verre de vin rouge avant d’aller au lit: ça fait peut-être chic, mais ça ne les aidera pas à dormir! L’alcool induit certes la somnolence et facilite l’endormissement, mais il fractionne ensuite le sommeil et le rend plus léger. Il peut aussi déclencher des apnées du sommeil: c’est un faux ami qui ne résout pas les problèmes d’insomnie, au contraire.
Respecter ses besoins
La nuit «normale» n’existe pas: «Pour la plupart des gens, la durée de sommeil nécessaire varie entre 7 et 8 heures», constate Tifenn Raffray. Une minorité se satisferont de 6 petites heures alors que d’autres auront besoin de 9 heures, voire 10, pour se sentir bien. On ne peut pas aller à l’encontre de ses besoins et il faut apprendre à les respecter.
Retrouver le sommeil grâce à la thérapie comportementale
1. Restriction du temps passé au lit
La première chose à faire est de ne plus regarder l’heure entre le moment du coucher et celui où le réveil sonne. Peu importe, finalement, qu’on ait dormi 5 heures, 6 heures ou davantage: plus on essaie de contrôler son sommeil, plus il nous échappe.
Tenir ensuite un «agenda du sommeil» où l’on inscrit les heures pendant lesquelles on pense avoir dormi et les moments d’éveil. Les insomniaques ont l’habitude de rester au lit beaucoup plus longtemps que les heures passées à dormir. Le principe est de calquer le temps passé au lit sur le temps de sommeil effectif. On n’ira toutefois pas en dessous de cinq heures. Ainsi, si on pense s’être assoupi pendant six heures au total, on ira au lit à minuit pour se lever à six heures. Et ce, plusieurs de jours de suite, même le week-end!
Un vrai défi, mais c’est le seul moyen de créer rapidement un sentiment de somnolence en soirée. Quelques jours suffisent pour se sentir fatigué et se coucher avec la certitude de s’endormir.
Après quelques semaines, on augmentera très progressivement le temps passé au lit jusqu’à ce qu’on se sente reposé: un quart d’heure par nuit la première semaine, puis une demi-heure après quinze jours et ainsi de suite, jusqu’à ce que le patient se sente en forme.
«Cette technique est efficace, mais elle nécessite un suivi pour aider et motiver les patients. A court terme, ils se sentiront très fatigués, ce qui peut être difficile à surmonter. Il est impossible de restreindre le temps passé au lit sans soutien extérieur», relève Geoffroy Solelhac.
2. Calme et sérénité
Il est difficile de trouver le sommeil en rentrant d’un jogging ou sitôt après avoir consulté sa messagerie instantanée. Pour réentraîner des sens en hyperéveil constant à lâcher prise, il faut instaurer un rituel. Par exemple, ouvrir un livre ou regarder une émission apaisante à la télévision pour calmer le jeu en fin de soirée. Attention: ces activités auront lieu hors du lit et pas sur un téléphone, une tablette ou un ordinateur. Le cerveau a besoin d’un moment de décompression pour se déconnecter et donner au corps les signaux nécessaires à l’endormissement.
En complément au rituel du soir, on s’exposera à la lumière dès le matin et pendant la pause de midi pour bien marquer la différence entre le jour et la nuit. Les patients insomniaques éviteront si possible les siestes pour ne pas confondre la journée, où tous les sens sont en éveil et la nuit où ils sont au repos: notre organisme a besoin de ce mouvement de bascule pour bien fonctionner.
3. L’hygiène du sommeil
La chambre à coucher doit être plongée dans l’obscurité et aussi calme que possible. L’absence de lumière stimule la production de mélatonine, l’hormone de la nuit. La température ne devrait pas dépasser 18°C et la literie être confortable: en bref, on doit se sentir bien dans cet espace.
4. Cesser de broyer du noir
Quand on se réveille la nuit, la journée du lendemain semble impossible à gérer et on s’en fait une montagne, surtout quand on dort mal. Les patients apprennent à reprogrammer leurs pensées pour cesser de ressasser.
Il s’agit aussi de relativiser l’angoisse de la nuit blanche: si on dort mal une nuit, on a assez de ressources pour mener ses tâches à bien et on dormira mieux le lendemain. Si on ne se rendort pas, on se lèvera pour s’offrir une pause confortable avec un livre, un dessin ou un tricot jusqu’à ce qu’on ait retrouvé son calme. Prévoir un coin douillet qu’on pourra rejoindre pendant la nuit: le lit est réservé au sommeil et à l’activité sexuelle, pas à la télévision et encore moins aux idées noires.
La TCC-I déploie ses effets après quelques semaines et les compétences acquises restent valables pendant des années. Selon les aléas de la vie, des épisodes d’insomnie ponctuelle restent possibles, mais les patients ont les outils nécessaires pour les traverser avec philosophie et retrouver ensuite des nuits paisibles.
«En Suisse, l’offre est largement insuffisante et il faut ainsi compter plusieurs mois d’attente pour débuter le traitement», indique Tifenn Raffray, codirectrice médicale du Centre du sommeil Florimont à Lausanne.
L’apnée du sommeil
Avant de commencer une thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I), les thérapeutes vérifient toujours si le patient présente des symptômes évocateurs d’un syndrome d’apnée du sommeil. Ce trouble se manifeste par l’arrêt de la respiration pendant de courtes périodes au cours de la nuit. Contrairement à l’insomnie chronique, qui est d’ordre psycho-physiologique, l’apnée du sommeil relève d’un problème physique. Elle nécessite le suivi d’un pneumologue ou spécialiste du sommeil qui prescrira le port d’un masque qui fournit un débit continu d’air pressurisé, ou d’une orthèse qui modifie la position de la mâchoire.
Le mécanisme est complexe: l’insomnie peut accentuer les symptômes de l’apnée du sommeil et, inversement, le port du masque ou de l’orthèse prescrits pour traiter cette dernière peuvent perturber le sommeil. «Le recours à la TCC-I facilite l’acceptation du masque», explique Geoffroy Solelhac. Le patient commencera dans ce cas à le porter en cours de thérapie, une fois qu’il a retrouvé un sommeil continu.