«Personne ne s’intéresse vraiment à l’ostéoporose», déplore Olivier Lamy, médecin-chef au Centre interdisciplinaire des maladies osseuses du CHUV à Lausanne. Les conséquences de cette maladie qui affaiblit le squelette, rendant les os poreux et cassants, sont pourtant dévastatrices. Les fractures invalidantes, les hospitalisations et la perte d’autonomie qui s’ensuit ont un énorme impact sur les personnes de 50 ans et plus, ainsi que sur les structures de soin.
En Suisse, 15% seulement des patients souffrant d’ostéoporose reçoivent ainsi un traitement adéquat. Cette proportion monte à 20% après qu’une première fracture a alerté le monde médical. Cela n’émeut ni les cantons, ni la Confédération: l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) indique ne pas s’intéresser aux maladies non transmissibles, sauf s’il s’agit de prévenir la suralimentation ainsi que les abus d’alcool ou de tabac. Quant aux cantons, ils ciblent leurs efforts sur les cancers du sein et du côlon.
Si rien n’est entrepris, le nombre de fractures de fragilité va augmenter de plus de 30% d’ici une dizaine d’années, alors que de gros progrès ont été faits pour identifier les sujets à risque: on peut freiner et même traiter l’ostéoporose. A condition toutefois de tordre le cou aux idées reçues, en commençant par distinguer le vrai du faux.
1. Tant que rien n’est cassé, il ne faut pas s’inquiéter
FAUX. Le diagnostic de fragilité osseuse est souvent posé à l’apparition des premières fractures seulement. Pour les prévenir, il faut aborder le sujet avec son médecin à l’approche de la cinquantaine, surtout en présence de fractures de vertèbres, du bassin, de l’épaule ou du poignet.
Le médecin prescrit généralement un examen pour mesurer la densité minérale osseuse, c’est-à-dire la qualité du squelette au niveau de la hanche, du col du fémur et des vertèbres lombaires. Pour définir le profil du patient, il tient également compte de l’âge, de l’indice de masse corporelle, des éventuelles autres maladies (polyarthrite), du mode de vie et des antécédents familiaux.
Ces facteurs permettent d’évaluer le risque de fracture sur la base de statistiques précises (voir le site de l’Association suisse contre l’ostéoporose, svgo.ch -> FRAX).
A 80 ans, on peut ainsi avoir une structure osseuse normale pour son âge, mais un risque de fracture élevé. A l’inverse, une femme de 58 ans présentera un risque de fracture élevé si son indice de densité osseuse est très bas: il faut dans ce cas agir sans tarder pour renforcer son squelette.
2. L’ostéoporose ne touche pas les hommes
FAUX. Passé la cinquantaine, la fragilisation osseuse concerne un homme sur cinq et une femme sur deux. La baisse des œstrogènes à la ménopause est l’un des principaux facteurs de risque pour ces dernières. D’autres éléments tels que la prise de cortisone, l’alcool, la fumée contribuent à fragiliser le squelette. Les patients souffrant de maladies telles que la polyarthrite et l’anorexie sont aussi plus vulnérables.
3. Les traitements font plus de mal que de bien
FAUX. Il existe plusieurs familles de médicaments, dont chacune a ses avantages et ses inconvénients. La prescription varie selon l’âge et le profil de chaque patient.
- Les substituts hormonaux sont prescrits aux femmes pour limiter la baisse d’œstrogènes à la ménopause et prévenir la perte osseuse. En retardant l’effet de la ménopause, on diminue de 30% le risque de fracture. Cette prescription implique des mammographies régulières pour détecter un éventuel cancer du sein, ainsi qu’un suivi attentif pour éviter des troubles cardiovasculaires.
- Les bisphosphonates freinent la résorption osseuse et ralentissent la destruction des os. Ils sont généralement prescrits pendant trois à cinq ans mais pas davantage, en raison d’un effet plateau. Leur effet se prolonge pendant plusieurs années: on parle d’un effet rémanent.
- Le dénosumab est efficace aussi longtemps qu’on le prescrit, mais l’arrêt subit du traitement entraîne un «effet rebond» avec une résorption osseuse accélérée. Il y a une dizaine d’années, des femmes ont ainsi subi des fractures spontanées de vertèbres. Il faut toujours accompagner la suspension du traitement d’une prescription de bisphosphonates pour stabiliser la structure du squelette.
- Les anabolisants osseux sont extrêmement efficaces pour reconstituer rapidement et efficacement le squelette. Très coûteux, ils ne sont remboursés que sur prescription d’un spécialiste et ce, seulement pour les femmes à la densité osseuse très faible.
Quel que soit le traitement prescrit, il doit être envisagé sur plusieurs années, avec des réévaluations régulières. Il s’accompagne de calcium et de vitamine D pour favoriser la reconstitution osseuse.
4. Il faut bouger pour protéger ses os
VRAI. Le mouvement maintient la masse musculaire et stimule le métabolisme osseux. Des exercices spécifiques de mobilité, d’équilibre et de force préviennent le risque de chute. Le nordic walking, le jogging ou la danse sont préférables au vélo ou à la natation, parce qu’ils impriment de petites secousses bénéfiques pour la santé des os. La Ligue suisse contre le rhumatisme propose des cours sur mesure. On peut sélectionner sa région pour obtenir les informations détaillées sur le site ligues-rhumatisme.ch.
5. L’ostéoporose est une maladie bénigne
FAUX. Ses conséquences ont des effets dévastateurs pour les patients concernés. La fracture du fémur conduit ainsi à une hospitalisation, à l’immobilisation et à la perte d’autonomie. Avec, à la clé, le placement en EMS ou la mise en place de soins à domicile en continu. Les fractures ostéoporotiques majeures occupent ainsi la plus grande partie des lits dans les hôpitaux helvétiques. Elles augmentent en outre sensiblement le risque de mortalité.
La facture annuelle de la maladie se chiffrait à 3,4 milliards de francs en 2019, soit 4,5% des coûts de la santé, dont 2,62 milliards de francs pour les hospitalisations et 750 millions pour les soins de longue durée et la dépendance. Des chiffres astronomiques comparés au coût annuel du traitement qui varie entre 320 fr. et 6800 fr. pour le plus cher et le plus puissant qui ne se donne que sur une année.
6. Après 40 ans, chaque fracture est suspecte
VRAI. Depuis une quinzaine d’années, les hôpitaux ont mis les services des urgences en réseau avec les spécialistes en rhumatologie dans une «filière fracture». La prise en charge des patients de 40 ans et plus admis pour une fracture commence dès leur hospitalisation. Le personnel soignant évalue automatiquement leur profil de risque de souffrir d’ostéoporose. Lorsque c’est nécessaire, on leur propose un traitement et un suivi adaptés. En Suisse romande, tous les hôpitaux cantonaux (CHUV, HUG, HFR, RHNE, HJU et Hôpital du Valais) ont rejoint ce réseau.
Claire Houriet Rime