Comme bien d’autres, sans doute, Jean-Daniel Staudenmann y a cru... un moment. Le 5 septembre, notre lecteur du Grand-Saconnex reçoit un coup de fil de la société Caraïbes-Horizons S.àr.l.: il est l’heureux gagnant d’une semaine de vacances aux Caraïbes et invité à retirer son lot dans les locaux de la société au cours d’une «séance d’information». Jean-Daniel Staudenmann adore voyager: il confirme sa présence pour le vendredi suivant. Méfiant quand même, il tient à savoir si on ne va pas tenter de lui vendre quelque chose... La réponse est catégorique: «Non!»
Les soupçons de M. Staudenmann sont pourtant justifiés. Avant la semaine de rêve à Punta Cana (République dominicaine), il va avoir droit à une soirée de cauchemar à Signy (VD).«Je me suis vite rendu compte qu’on voulait me vendre quelque chose», raconte notre lecteur. Bel euphémisme: durant plus de trois heures, «conseillers» et «responsables» l’assiègent sans relâche et tentent de le convaincre d’acheter une part d’un logement de vacances en multipropriété. Comme les autres personnes présentes ce soir-là, Jean-Daniel Staudenmann est en effet victime des méthodes caractéristiques de certaines sociétés de time-sharing – un droit d’utilisation à temps partiel de logements de vacances, échangeable contre d’autres droits analogues au moyen d’une bourse d’échange.
Un siège de 3 heures
Un concept séduisant sur le fond, mais très controversé quant à ses modes de fonctionnement: techniques de vente souvent basées sur un blocus agressif du client potentiel, manque de transparence des conditions contractuelles savamment exploité, grosses difficultés pour les acheteurs qui souhaitent échanger ou revendre leur part par les fameuses bourses d’échange...
Caraïbes-Horizons ne fait pas exception. Face au forcing des conseillers qui se relaient, Jean-Daniel Staudenmann, décidé à ne rien acheter, a du mal à camper sur ses positions: «Après deux heures et demie, face à mon refus irrévocable, raconte notre lecteur, celui qui s’est présenté comme le manager s’est fâché et s’est mis à proférer des propos déplacés et vexatoires: “Vous n’avez pas d’argent? Vous êtes en instance de divorce? Dites-le!” Le bonhomme était tellement agressif que j’ai eu peur de me faire casser la figure. Je suis finalement sorti de là avec le “Certificat de vacances” que j’étais venu chercher, sous les ricanements des collaborateurs.»
Heureusement, l’histoire de Jean-Daniel Staudenmann se termine bien (pour lui): notre lecteur est reparti de Signy sans avoir rien signé, mais avec son «bon de voyage» (et la promesse implicite d’affronter de nouveaux assauts commerciaux sur place).
Contactée par Bon à Savoir, la société Caraïbes-Horizons n’a pas été en mesure de commenter les récits de nos lecteurs. Aux dires d’un des associés de la S.àr.l., qui affirme ne pas participer directement à ses activités, les responsables étaient en voyage (en Namibie) à l’heure où notre mensuel était mis sous presse.
Succès aux USA
En Suisse et plus généralement en Europe, time-sharing rime souvent avec méthodes de vente agressives et peu fair-play. «Dommage, estime une ex de la profession qui préfère rester anonyme: le forcing systématique des clients attire des sociétés peu scrupuleuses, alors que le time-sharing peut s’en passer. Aux USA, par exemple, il connaît un grand succès, même si les clients disposent d’un délai de réflexion.» Et de conclure par un conseil très pragmatique à l’usage de ceux qui veulent bien le séjour gratuit, mais n’entendent pas céder à la pression: «Allez-y... si vous en avez la force!».
Blaise Guignard
Mieux vaut bien réfléchir avant
On ne compte plus les victimes du time-sharing qui ont cédé à l’épuisement plus qu’à l’envie, et se sont retrouvées avec un titre de «propriétaire» juridiquement flou, impossible à échanger et difficile à résilier sans frais.
L’Europe a réagi en 1994 déjà en édictant une directive selon laquelle le vendeur a un devoir d’information complète, et l’acheteur un droit de révocation dans les dix jours dès la conclusion du contrat — voire trois mois si le vendeur a mal informé son client.
Rien de tel en Suisse, en dépit de deux interventions parlementaires demandant une législation analogue, dont la dernière déposée en 2000 et acceptée par la Commission des affaires juridiques du Parlement.
Pour la Fédération romande des consommateurs, le délai de résiliation applicable est celui du démarchage à domicile, soit 7 jours. Au-delà, on ne peut plus faire grand-chose. La FRC donne donc quelques conseils à ceux que le time-sharing pourrait tenter:
• considérer les séances d’information pour ce qu’elles sont en réalité: des opérations de vente;
• ne rien signer sur place;
• être très attentif aux clauses du contrat;
• exiger que le for juridique du contrat soit en Suisse;
• demander une documentation complète sur les logements vendus;
• ne rien signer par procuration;
• demander des informations précises sur la bourse d’échange.