Pas facile d’être confronté à un trouble dit «dys», ces problèmes cognitifs qui perturbent certains apprentissages jusqu’à handicaper parfois lourdement la scolarité, voire la vie au travail. Près de 10% de la population serait touchée par une telle affection.
Dans chaque classe, un ou deux élèves souffrent de dyslexie, de dyscalculie et/ou de dyspraxie. Lire une consigne ou écrire une phrase sans faute relève pour ces enfants de l’exploit. Ces difficultés se cumulent souvent et peuvent être liées à des troubles de l’attention qui empêchent de se concentrer longtemps. Les élèves sont épuisés et pénalisés dans toutes les branches. Ils risquent de se retrouver en échec scolaire alors que leurs capacités intellectuelles sont intactes.
Suivi individualisé
On sait aujourd’hui qu’un suivi régulier par un spécialiste (lire p. 8: «Qui fait quoi?») ainsi que des aménagements en classe permettent à ces enfants de développer leur potentiel et leur redonnent confiance en eux: le plus tôt sera le mieux. Des constantes se dégagent chez tous ceux qui en souffrent, mais les troubles sont propres à chacun: le suivi doit être adapté à l’évolution de l’élève. Il est donc impossible de prescrire des exercices avant d’avoir vu l’enfant.
Malgré tous les progrès réalisés ces dernières années, il est encore difficile, pour les élèves souffrant de troubles «dys», d’être reconnus comme tels assez tôt. Pour Amanda Oriol, auteure des «Confessions d’une dyslexique», le diagnostic a été posé à 13 ans seulement: elle a souffert inutilement pendant l’école primaire et de précieuses années ont été perdues pour l’aider à lire.
En cas de doute, il faut d’abord éliminer d’éventuels problèmes relevant de la vue ou de l’ouïe, d’une déficience intellectuelle ou de l’encadrement familial. «Nous établissons ensuite un bilan logopédique complet. L’enfant est soumis à des tests neuropsychologiques obéissant à des critères précis», explique Marie di Pietro, logopédiste à Genève et chargée de projet pour l’Association romande des logopédistes diplômés (ARLD). Une fois le diagnostic posé, on peut l’aider par un suivi régulier. Si le logopédiste le juge utile, on peut demander des aménagements dans le cadre de l’école (lire ci-dessous: «La dyslexie»).
Cette étape est importante, d’abord parce qu’elle permet à l’élève de progresser avec un ou une spécialiste et ensuite, parce que son trouble est reconnu et qu’il se sent enfin compris! Au Canada, on parle de personnes «autrement capables», relève Amanda Oriol. «La vie d’une dyslexique est loin d’être simple et nous devons développer d’autres compétences et être très créatifs pour surmonter nos difficultés.»
Remboursement sous conditions
Pour la dyslexie et la dyscalculie, les séances de logopédie sont remboursées jusqu’à 20 ans. Chaque canton a élaboré un processus qui passe généralement par un bilan complet de l’enfant par un logopédiste. S’il conclut à des troubles d’apprentissage, il déposera une demande de prise en charge auprès du service compétent.
La dysgraphie nécessite le recours à l’ergothérapie prescrite par le pédiatre, payée par l’assurance maladie de base, voire à un ordinateur portable, pris en charge par l’AI jusqu’à la fin de l’école obligatoire.
La collaboration de tous les intervenants est très importante dans le parcours d’un enfant: en cas de doute, il faut en parler sans tarder avec l’enseignant. Nous nous concentrons ici sur les troubles d’apprentissage les plus fréquents: la dyslexie, la dyscalculie et la dysgraphie. Pour davantage de précisions, consulter les sites spécialisés.
La dyslexie
C’est le trouble d’apprentissage le plus fréquent et le plus connu. Il touche quelque 8% de la population et on estime qu’entre 1% et 2% sont sévèrement atteints.
La dyslexie perturbe l’apprentissage du langage écrit. Pour lire un texte, le cerveau transcrit les lettres en sons: c’est le centre du langage situé dans l’hémisphère gauche qui travaille. Cette tâche est compliquée pour les enfants dyslexiques, qui ne décodent pas correctement ce qu’ils voient. Ils confondent des lettres, en omettent ou les inversent. Alors qu’un coup d’œil suffit normalement à comprendre des mots à l’orthographe complexe tels que femme, monsieur, ou oignon, ils n’arrivent pas à les saisir dans leur globalité, ou à se rappeler comment les écrire correctement. «C’est un trouble neurobiologique du langage», explique Marie di Pietro.
Pendant les séances de logopédie, on fait des exercices ludiques pour apprendre à différencier les lettres p, b, d, q: si on les écrit en minuscules, elles se ressemblent, de même que les sons «p» et «b». En majuscules, elles sont différentes, ce qui permet de mieux les distinguer: ça commence à aller mieux! Au fil de la thérapie qui s’étend sur deux ans au moins, l’élève se familiarise progressivement avec l’écrit.
Amanda Oriol a inventé un «truc» pour écrire correctement le mot «éléphant», avec «ph» et pas avec «f»: «Le ‘p’, c’est la trompe et la tête de l’éléphant. Le ‘h’, c’est les pattes, et le cornac assis dessus.»
La dyslexie a un impact sur la faculté à comprendre des consignes écrites. En parallèle, des aménagements sont proposés aux enseignants: espacer les lignes, renoncer aux feuilles recto verso, donner un peu plus de temps aux élèves dyslexiques pour les tests et lire les consignes par oral.
La lecture à haute voix est incontournable dans leur parcours: ils représentent ainsi 40% du lectorat de la Bibliothèque sonore romande, et ce nombre augmente constamment.
La dysgraphie
La dysgraphie est un trouble de l’apprentissage de l’écriture. Elle est fréquente chez les enfants avec un trouble d’acquisition de la coordination (anciennement appelé dyspraxie). Quand on écrit et qu’on prend des notes, la main trace les mots «automatiquement»: on ne réfléchit pas à chaque lettre. Chez les élèves souffrant de dysgraphie, ce mouvement ne va pas de soi. L’enfant réfléchit avant chaque lettre parce qu’il a de la peine à contrôler, coordonner et planifier son geste. Les obstacles et le degré de difficulté varient chez chacun. Par exemple, il peut être très difficile d’écrire lors d’une dictée.
La vie scolaire reposant en grande partie sur l’écriture, les enfants mettent beaucoup d’énergie à former des lettres plutôt que de se concentrer sur l’orthographe et le sens du texte. «C’est comme si on lâchait un élève conducteur dans une grande ville dès la première leçon de conduite», expliquent Delphine Charles et Anne Jacquin, ergothérapeutes à Ergotine, à Villars-le-Terroir. «Au lieu de se concentrer sur le trafic, il réfléchit au choix de la pédale.» Le suivi repose sur des aménagements pratiques (par exemple, des embouts de crayon en caoutchouc et des lignes de couleur dans les cahiers d’écriture) et une prise en charge thérapeutique.
L’ergothérapeute vérifie la posture et propose des exercices pour tenir le crayon et tracer les lettres. Delphine Charles et Anne Jacquin pratiquent la méthode ABC Boum +. Dans cette méthode multisensorielle, chaque lettre est décomposée en gestes associés à des sons pour aider l’enfant à la mémoriser et l’automatiser, de manière ludique. L’enfant est aussi encouragé à développer ses propres stratégies.
Selon le profil de l’élève, on prescrira un ordinateur pour pallier en partie l’écriture manuelle, ce qui lui permettra de se concentrer sur le contenu du cours. Les ergothérapeutes insistent sur l’importance de commencer par l’apprentissage de l’écriture pour donner à l’enfant toutes les chances de progresser. S’il est épuisé et cumule plusieurs troubles dys, on peut le proposer d’emblée pour éviter une souffrance scolaire.
A noter que les enfants concernés peuvent être, par ailleurs, adroits dans certains domaines. On peut être dysgraphique et devenir un acteur célèbre, comme Daniel Radcliffe. Einstein, lui était dyslexique!
La dyscalculie
Ce trouble de l’apprentissage des nombres et du calcul est souvent associé à la dyslexie. On estime qu’entre 1% et 2% des enfants seulement souffrent de dyscalculie isolée. Le problème touche la représentation des nombres par des symboles: à quoi correspond le 3? Les élèves ont aussi de la peine à percevoir que 3 est inférieur à 5, par exemple.
Les dizaines et les unités leur donnent aussi du fil à retordre: pour écrire 5024, ils écriront 5000-20-4. Les tables de multiplication, les opérations d’addition ou de soustraction avec retenue posent de vrais défis à l’école et dans la vie courante, que ce soit pour lire l’heure, avoir la notion du temps ou gérer son argent.
La thérapie passe par un suivi logopédique pour solidifier la compréhension des nombres et de leur sens sous différentes formes, qu’ils soient écrits en lettres ou en chiffres. L’élève apprend aussi à associer les nombres à des quantités réelles. Il pourra ensuite consacrer son énergie à des opérations plus complexes. Compter sur les doigts, utiliser des bouliers ou des jetons l’aideront à se représenter les nombres mentalement. La lecture des consignes à haute voix et le recours à des schémas ou des images pour représenter un problème sont aussi très utiles.
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Claire Houriet Rime