Victime d’un sérieux problème cardiaque qui a nécessité la pose d’un grillage cylindrique (stent) dans une artère, Philippe Zeller doit éviter le stress, notamment professionnel, pour atténuer le risque de récidive, comme en conviennent les trois spécialistes qui le suivent. Sur ordre médical, notre lecteur a donc réduit fortement son rythme de travail à 50%, et ce dans l’optique de préserver sa capacité de travail à long terme. Pour faire face à la baisse notable de revenus que cette situation implique, il a déposé une demande de rente partielle à l’AI.
Une tournure inattendue
Mais les évènements ont pris une tournure inattendue: Swiss Life, sa caisse de pension, a demandé qu’il soit soumis à une expertise médicale. A l’issue d’une consultation unique, l’expert a estimé que son patient d’un jour était apte à travailler pleinement.
Le dossier a alors été transmis à l’AI qui, dans un préavis, s’est rangée à ce point de vue au détriment de celui des médecins qui suivent notre lecteur depuis des années. Or, sans rente partielle de l’AI, M. Zeller risque de se voir contraint, pour boucler ses fins de mois, d’augmenter son taux d’activité, avec les risques que cela comporte en termes de santé: «En cas de récidive, ce sera un autre stent, peut-être un pontage coronarien ou, si j’ai moins de chance, un arrêt cardiaque…» Et notre lecteur de se demander pourquoi la demande d’expertise a été effectuée par sa caisse de pension et non pas par l’AI?
Swiss Life indique que si «la caisse de pension a pris les devants, c’est parce que l’AI en était encore à un stade peu avancé du dépistage précoce». Cette démarche serait dans l’intérêt de l’assuré, «car si l’examen médical a lieu rapidement, les chances de réintégration sont sensiblement plus élevées». Une explication qui ne convainc pas notre lecteur: «La réduction de mon temps de travail a justement pour but de maintenir ma capacité de travail le plus longtemps possible et donc d’éviter d’avoir à me réintégrer.»
Médecin de langue allemande
Autre point de discorde: le choix de l’expert. Ce dernier ne parlant qu’allemand, la consultation s’est déroulée avec l’aide d’un traducteur. Swiss Life justifie ce choix en se disant convaincue de la qualité des expertises pratiquées par les médecins spécialisés du centre bernois qui a convoqué M. Zeller: «Ces praticiens sont les personnes les mieux qualifiées pour effectuer ce type d’examen. Le médecin traitant connaît certes son patient, mais il n’est pas spécialisé dans l’examen et le traitement des questions particulières.» Tout faux selon l’avocat de M. Zeller, pour qui cette consultation «ne peut revêtir une quelconque valeur probante». A ses yeux, il n’est pas acceptable qu’une expertise soit réalisée par un médecin de langue allemande, même accompagné d’un interprète, alors que le patient est de langue maternelle française.
Des avis contradictoires
Et l’AI dans tout cela? Comment justifie-t-elle ses préférences en présence d’avis médicaux contradictoires? Dans ce genre de cas «on doit retenir l’analyse médicale la plus pertinente et celle dont la valeur est la plus probante (…)», répond l’assurance invalidité. Un point sur lequel insiste aussi l’avocat de notre lecteur puisque ce dernier conteste précisément le caractère probant de l’analyse bernoise.
Par ailleurs, en se référant à un arrêt du Tribunal fédéral, l’AI considère à demi-mots que les médecins traitants partent avec un certain handicap: «En ce qui concerne leurs rapports médicaux, on doit prendre en considération le fait d’expérience que, eu égard au rapport de confiance que ces médecins entretiennent avec leurs patients et qui découle de leurs relations contractuelles de mandat, ils s’expriment plutôt en leur faveur en cas de doute.»
Qu’en est-il, dès lors, de l’indépendance de l’expert payé par l’assureur? rétorque notre lecteur. Pour l’heure, le bras de fer se poursuit…
Sébastien Sautebin