Les avocats cherchent à se moderniser et proposent de plus en plus de services sur le web et sans rendez-vous. Dernière nouveauté: le site monavocatenligne.ch lancé au début octobre. Avec des formulaires pour exposer un cas personnel, des tarifs inférieurs à 160 fr. et une promesse de réponse dans les 24 à 48 heures, ces outils ont de quoi séduire ceux qui rechignent à franchir la porte d’un cabinet. Mais sont-ils fiables? Notre enquête, menée de concert avec l’émission On en parle (RTS-La Première), a révélé des inexactitudes et un manque d’informations qui empêchent l’utilisateur d’agir concrètement.
«Erreurs» et «légèretés»
Afin d’apprécier la qualité de ces services, nous avons fait appel à Yvan Jeanneret, professeur et avocat spécialisé dans le droit pénal. Après le choix d’une question précise portant sur l’éventualité d’une contestation d’amende et d’un retrait de permis lié à un excès de vitesse, notre expert a analysé les réponses fournies par quatre plateformes, deux gratuites et deux payantes (120 fr. et 150 fr.). A noter que nous avons interpellé des services d'avocats sur un thème précis qui n’est pas traité par le service juridique de Bon à Savoir.
Selon Yvan Jeanneret, le résultat est médiocre: «Aucune réponse n’est globalement satisfaisante et chacune contient des erreurs sur le plan juridique et/ou des “légèretés” dans le conseil.» Un constat d’autant plus surprenant que le cas soumis appartient au domaine du quotidien de l’avocat généraliste, comme le confirme notre expert: «Il s’agit d’un problème traité de manière claire depuis plusieurs années par la jurisprudence publiée et dont le praticien devrait avoir connaissance.»
La question soumise aux quatre sites concernait un retrait de permis lié à un dépassement de 32 km/h sur une sortie d’autoroute, assortie d’une amende et d’une peine pécuniaire. Plusieurs points devaient être soulevés dans la réponse, notamment le fait que le retrait n’était, a priori, pas contestable mais que la sanction mentionnée dans notre question fictive – en l’occurrence 20 jours-amende à 100 fr. avec sursis et une amende additionnelle de 600 fr. – était trop élevée au vu de la jurisprudence. Nous avons également jugé la qualité de l’arbitrage et du conseil ainsi que celle des informations complémentaires permettant d’agir concrètement, comme un modèle de lettre, un délai ou encore le nom et l’adresse de l’organe à contacter.
Subtilité non décelée
Des manquements apparaissent sur le point principal: la qualification de violation grave au code de la route qu’implique un dépassement de plus de 30 km/h sur une bretelle d'autoroute et non sur l’autoroute elle-même. L’étude du Ritz donne une mauvaise réponse (tout en arrivant au bon résultat) et monavocatenligne.ch axe son argumentaire sur le tarif de l’autoroute uniquement, alors qu’on parle clairement d’une sortie.
La plateforme jurineo.ch est quelque peu différente des autres, puisque les requêtes sont soumises à des avocats indépendants qui peuvent choisir d’y répondre ou non. Nous avons ainsi reçu deux réponses dans des délais assez brefs. Celles-ci sont toutefois très courtes, peu détaillées et ne permettent pas vraiment au demandeur de se faire un avis ou d’entreprendre des démarches concrètes.
Suggestion discutable
Le prestataire le plus cher est Weka conseil juridique en ligne avec un service tarifé à 150 fr. Sa réponse est parmi les plus détaillées du panel. Mais on y trouve des erreurs ainsi qu’une remarque qui laisse perplexe: le site relève que le conducteur aurait pu dire, avant de reconnaître les faits, qu’il s’agissait d’un membre de la famille au volant mais qu'il refuse de le dénoncer.
Egalement payant, monavocatenligne.ch propose un conseil plus détaillé et didactique que les autres. Mais l'explication juridique reste théorique, ne se prononce pas concrètement sur les détails du cas et comporte quelques inexactitudes.
Les avocats se défendent
Jurineo n’est pas d’accord avec les conclusions de Me Jeanneret. «Dans le cas d’espèce, la cliente (factice) a pu, grâce à notre plateforme, obtenir rapidement et gratuitement deux réponses fournies par des avocats brevetés. Les deux réponses étaient non seulement appropriées, mais sauvegardaient aussi pleinement les intérêts de la personne concernée», se défendent les responsables du site.
L’étude du Ritz répond par l’intermédiaire de Me Guillaume Grand qui dit prendre l’entière responsabilité de la réponse fournie. S’il admet une erreur sur la vitesse limite, il explique que le caractère bref de la réponse est attendu par les utilisateurs, qu’il est mentionné que le client peut appeler pour plus d’approfondissement et que cette démarche supplémentaire est également gratuite.
Weka estime que «le conseil donné procède d'une appréciation globale des faits et du droit et a pour but de donner un conseil pratique, comme effectué dans maintes permanences juridiques, et ce sans mentionner nécessairement de manière exhaustive tous les faits et arguments ayant servi de base à l'appréciation faite».
Enfin, Me Pierre Bayenet, responsable de monavocatenligne.ch, juge la réponse attendue par l’expert trop schématique: «La jurisprudence relative aux sorties d’autoroute établit une règle générale, qui n’empêche pas de tenir compte de la dangerosité réelle du lieu. Il est judicieux, pour le client, de s’opposer à la mesure dans le cadre du droit d’être entendu, plutôt que de former un recours prématuré. Je rappelle que monavocatenligne.ch permet au client de joindre des pièces à son envoi et d’obtenir un éclaircissement si une ambiguïté apparaît.»
Loïc Delacour
Données sensibles
Confidentialité mal assurée
Un internaute qui expose un problème personnel ne souhaite pas que des données sensibles soient interceptées par des personnes malintentionnées. Les services testés ne sont pas rassurants sur ce point. Seul monavocatenligne.ch met à disposition un formulaire utilisant le protocole de chiffrement «https» pour plus de sécurité. Il donne également des informations sur la collecte des données, tout comme Jurineo. Ce dernier dit avoir pris des mesures pour sécuriser l’envoi de la question, à la suite de notre interpellation.
Weka et l’étude du Ritz n’ont ni formulaire sécurisé ni charte de confidentialité. Le second met toutefois en garde les utilisateurs en déclarant que «les messages électroniques ne garantissent pas la confidentialité des informations transmises». Ce qui est effectivement vrai si aucun effort n’est fourni pour sécuriser la transaction…