«Exercer son activité professionnelle comme un travailleur indépendant, tout en bénéficiant du statut de salarié». «Disposer de la protection sociale d’un employé avec les avantages du statut d’indépendant». Bien établies en France, les sociétés de portage salarial font petit à petit leur nid de ce côté-ci de la frontière aussi.
Ce «nouveau» mode de travail serait donc une solution miracle qui permet à un indépendant d’être considéré comme un salarié du point de vue des assurances sociales, et donc d’obtenir, en cas de pépin, une protection plus étendue. Tout en conservant justement ledit statut d’indépendant, mais sans avoir à s’occuper des charges administratives qui lui incombent.
Relation à trois
Le fonctionnement est le suivant: le travailleur délègue à une société de portage l’encaissement de ses honoraires auprès de clients avec lesquels il a conclu un mandat ainsi que l’acquittement de ses charges sociales (AVS/AI, LPP, APG, etc.). En somme, il s’agit d’une relation de travail à trois entre le porté (le travailleur), son client et l’entreprise de portage.
Pour se rémunérer, celle-ci prélève une commission comprise entre 5% et 15% sur le montant des mandats conclus entre le porté et ses clients, avant de reverser le solde au travailleur, sous la forme d’un versement mensuel, qui devient alors salarié de l’entreprise. Le véritable employé ne doit, lui, pas s’acquitter d’une telle commission.
Mais, ce n’est pas tout! Le salarié porté assume également l’entier des cotisations à l’AVS et au 2e pilier. Un salarié normal, lui, ne doit en supporter que la moitié, l’autre moitié étant prise en charge par son employeur. Pour une personne de 40 ans, cela représentera, par exemple, 9,7% pour l’AVS/AI/APG et 10% pour la LPP.
Et, les mauvaises surprises pourraient bien ne pas s’arrêter là. Si le travailleur porté perdait ses mandats, il devrait en toute logique pouvoir prétendre aux indemnités de chômage en sa qualité de salarié. C’est du moins l’avis du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), qui assimile le portage salarial à de la location de service classique. Mais, il ne s’agit là que d’un avis et au conditionnel, qui plus est!
Flou juridique
En effet, «le portage salarial ne bénéficie actuellement d’aucun statut juridique en Suisse, met en garde Stéphanie Fuld, avocate, spécialiste en droit du travail. Cette absence de réglementation requiert donc la plus grande prudence. La personne portée a certes l’impression d’être un véritable employé. Dans les faits toutefois, il n’est pas certain que cette qualité lui soit reconnue par les autorités sociales compétentes.» Car, en droit, ce qui distingue le salarié de l’indépendant n’est pas le genre de contrat passé mais deux critères principaux: la subordination et l’absence de risque économique. Or, à moins que le travailleur porté ne doive se soumettre à un certain nombre d’instructions fixées par la société de portage (horaires de travail, objectifs à remplir, rapports à rédiger, etc.), il n’est pas certain que ce lien de subordination lui soit reconnu. Idem pour l’absence de risque économique, puisque c’est le travailleur porté qui doit trouver lui-même l’entier de sa clientèle.
Interpellé, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) admet, de son côté, qu’il n’a, «à ce jour, été confronté à aucun cas concret et que, à sa connaissance, aucun tribunal d’assurances sociales en Suisse n’a eu à se prononcer sur un tel cas de portage salarial». En revanche, il se dit «volontiers prêt à se prononcer sur des cas concrets si on les lui soumet par écrit. Ainsi, il pourra peut-être mieux comprendre comment les cotisations sociales sont prélevées par les entreprises de portage salarial».
Chantal Guyon